Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/318

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Trop souvent aussi Ricardo procède par affirmations tranchantes que rien ne justifie. Je n’en veux plus donner qu’une preuve et je la prends dans sa théorie des causes de l’accroissement des profits (on sait que chez lui « profit » signifie conjointement « loyer de capital » et « profit d’entrepreneur » ). Il ne voit pour les profits qu’une cause de hausse ou de baisse : c’est la baisse ou la hausse des salaires, lesquelles sont elles-mêmes limitées ou commandées par le prix minimum des subsistances de l’ouvrier[1].

Rien de plus attristant et de plus sombre que cette formule, parce qu’elle affirme comme un dogme scientifique l’antagonisme fatal du patron et de l’ouvrier, dont l’un ne saurait jamais guigner qu’aux dépens de l’autre. Mais rien aussi n’est plus inexact, et Ricardo, outre le grand tort de n’avoir pas développé les conséquences de la productivité du travail, a accentué ici son tort bien plus grave de se laisser entraîner à un aride pessimisme dont il ne trouvait cependant les éléments ni dans Smith, ni dans J.-B. Say. Peut-être tenait-il ses regards trop obstinément fixés sur l’Angleterre d’alors ; et l’on peut croire que, ne soupçonnant et n’étudiant rien en dehors de son pays et de son temps, il n’a suffisamment pénétré ni la complexité, ni la succession des phénomènes.

  1. « Dans tout le cours de cet ouvrage, j’ai cherché à prouver que le taux des profits ne peut jamais hausser qu’en raison d’une baisse des salaires, et que cette baisse ne peut être permanente que tant qu’il y aura une diminution dans le prix des denrées que l’ouvrier achète avec ses gages… Le taux des profits n’augmente jamais par une meilleure distribution du travail, ni par l’invention des machines, l’établissement des routes et des canaux ou par tout autre moyen d’abréger le travail, soit dans la fabrication, soit dans le transport des marchandises. Toutes ces causes influent sur les prix et sont toujours très avantageuses au consommateur… ; mais elles n’exercent aucune influence sur les profits. D’un autre côté, toute diminution dans les salaires dès ouvriers accroît les profits, mais ne produit aucun effet sur le prix des choses » (Principes de l’économie politique et de l’impôt, ch. vii, tr. fr., pp. 93-94). — Il ne s’agit que des salaires réels (voyez un peu plus loin, au même chapitre, p. 103). — Stuart Mill admet également que l’abaissement de valeur des denrées usuellement consommées par les ouvriers hausse les profits (Principes d’économie politique, 1. III, ch. xvii, § 4, t. II, p. 114).