Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/361

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été fatal aux travailleurs. L’artisan d’autrefois savait combien il pouvait se permettre d’enfants, et « il n’avait garde alors de se marier ou d’augmenter sa famille[1] », tandis que l’ouvrier moderne de la manufacture est devenu incapable de tout calcul et procrée une « famille d’autant plus nombreuse qu’elle sera plus à charge à la société[2] ». C’était même la grande supériorité du régime corporatif d’autrefois. « Il est bien certain, et comme fait et comme théorie, que l’établissement des corps de métier empêchait et devait empêcher la naissance d’une population surabondante. Il est de même certain que cette population existe aujourd’hui et qu’elle est le résultat nécessaire de l’ordre actuel » ; car autrefois « les maîtres seuls se mariaient et l’augmentation de la famille de ceux-ci se proportionnait toujours à leur richesse[3]. » De là l’hostilité profonde de Sismondi contre la morale chrétienne du mariage, qu’il sait être hostile à la restriction volontaire de la natalité par les moyens qui seraient en fait les seuls pratiqués et praticables — hostilité qui s’accompagne chez lui d’un esprit profondément sectaire[4].

Mais toutes les classes ne sont pas également prolifiques. Au contraire, « les limites naturelles de la population sont toujours respectées par les hommes qui ont quelque chose, et toujours dépassées par les hommes qui n’ont rien[5] ». Les majorais exercent à cet égard une grande influence, parce que, « avec le partage égal, chaque père évite d’avoir beaucoup d’enfants[6] », tandis que le régime des substitutions encourage le grand nombre des cadets. Malgré cela, et non sans se contredire en ce qui concerne surtout l’aristocratie anglaise, Sismondi constate à maintes

  1. Ibid., p. 261.
  2. Ibid., p. 267.
  3. L. IV, ch. x, t. I, pp. 431 et 432.
  4. L. VII, ch. v, « De l’encouragement religieux donné à la population », t. II, p. 292 et s.
  5. Avertissement de la 2e édition, p. xv.
  6. L. III, ch. xii, t. I, p. 296.