Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/385

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maine. Les choses une fois créées, l’espèce humaine peut, individuellement ou collectivement, en agir avec ces choses comme elle l’entend[1]. »

Il s’ensuivrait, à première vue, que s’il existe des lois économiques naturelles relatives à la production, il ne saurait en exister, dans les autres parties de l’économie politique[2]. Telle n’est point cependant la pensée de Stuart Mill, qui se hâte d’atténuer sa première proposition au point de l’effacer. Non seulement, en effet, il déclare que « les opinions et les sentiments des hommes », au lieu d’être « une chose soumise au hasard… », « résultent des lois fondamentales de la nature humaine, combinée avec l’état actuel des connaissances et de l’expérience, avec l’état des institutions sociales et de la culture, intellectuelle et morale » ; mais encore il affirme que « les règles en vertu desquelles la richesse, peut se distribuer, sont au moins aussi peu arbitraires et possèdent autant le caractère de lois physiques que les lois de la production ». Seulement je me demande alors ce qui reste de la distinction essentielle que Mill avait faite plus haut. Je me le demande bien davantage, quand j’apprends, comme Mill le dit ailleurs, que « des êtres humains, qui peuvent gouverner leurs propres actes, ne peuvent pas gouverner les conséquences de ces mêmes actes pour eux ou leurs semblables ». N’en était-il pas de même pour la production, où les hommes,

  1. L. II, ch. l, § 1, t. I de l’édition Guillaumin, p. 233. — Cette distinction ne se trouvait pas dans le plan primitif de l’ouvrage : elle est seulement apparue dans la 2e édition anglaise des Principes, 1849.
  2. L. II, ch. i, § 1, t. I de l’édition Guillaumin, p. 235. — Mill revient sur cette distinction dans son Autobiographie. « J’ai tracé, dit-il, une ligne de démarcation entre les lois de la production de la richesse, qui sont en réalité des lois de la nature et dépendent des propriétés des choses, et les modes de distribution de la richesse, qui, sous certaines conditions, dépendent de la volonté humaine. Quelques économistes confondent ces deux ordres de lois sous le nom de lois économiques, que nul effort humain, suivant eux, n’est capable d’annuler ou de modifier. Ils attribuent la même nécessité aux lois qui dépendent des conditions immuables de notre existence, et à celles qui, n’étant que des conséquences nécessaires de certains arrangements, ne vont, pas au-delà de ces arrangements. »