Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/422

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moins à se préoccuper de ce danger, puisque d’après eux le critérium de la différence entre la nation et l’étranger, entre le commerce intérieur et le commerce international, était précisément l’impossibilité ou du moins la très grande difficulté d’un déplacement du capital et du travail[1]. Mais leur opinion importe peu, si en fait elle est fausse ; et il est bien difficile de nier qu’elle le soit, puisque les facilités matérielles et morales des déplacements de population et de capitaux ont été toujours en augmentant et ne peuvent qu’augmenter encore davantage.

Les derniers doctrinaires du libre-échange absolu ont été plus cyniques ; ils ont proclamé nettement que l’émigration des habitants et des capitaux, lorsqu’elle est amenée par les conditions naturelles de la concurrence internationale, est un bien pour le pays qui les voit émigrer et qui les perd. Par conséquent ils ne contestent plus qu’elle puisse avoir lieu. « Lorsque la différence, dit Bastable, entre le taux des salaires et des profits dans deux nations est considérable, alors un mouvement de capital et de travail aura probablement lieu vers le pays de productivité plus grande… ; et le pays inférieur verra sa situation améliorée, puisque sa population sera réduite d’autant et que les portions les moins productives de son capital auront été envoyées au loin[2]. » D’ailleurs, selon lui, « si une nation ne possède pas de manufactures, ce seul fait est une preuve concluante que, économiquement parlant, il vaut mieux pour elle s’en passer. » On voit donc qu’ici la théorie des droits éducateurs, quoique admise par Smith, est énergiquement répudiée. Quant à la protection agricole, il est difficile, dit Bastable, de prétendre que l’un ou l’autre des résultats qu’elle doit entraîner, augmente la puissance ou le bien-être d’une nation[3] ».

  1. Voyez supra, p. 401.
  2. Bastable, Théorie du commerce international, tr. fr., pp. 217-218.
  3. Op. cit., pp. 192 et 199.