Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/48

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mieux observé ; enfin, 3° la paix mieux assurée entre les hommes[1]. Mais ce sont là, je le répète, des arguments moraux et sociaux plutôt qu’économiques ; et il est à remarquer que le grand docteur ne s’arrête pas explicitement à l’avantage d’une meilleure culture et d’une productivité plus abondante, qui, en accroissant le produit brut de la terre, se résoudraient forcément, toutes choses égales d’ailleurs, soit en un accroissement du bien-être de chacun, soit en un accroissement de la population. Nous trouvons donc ici une confirmation de nos remarques sur la pénurie des vues économiques proprement dites.

En tout cas, il est à remarquer que saint Thomas n’invoquait aucun argument qui pût donner à la propriété le caractère de « fonction sociale », bien que les catholiques sociaux d’aujourd’hui supposent qu’elle l’ait eu alors et qu’elle doive nécessairement le revêtir[2]. Nous ne contestons point sans doute que, dans la période féodale, la propriété terrienne pleine et libre entraînait avec elle des droits et des devoirs d’administrateur et de justicier : mais ce n’était là qu’une coïncidence accidentelle et passagère qui n’affectait aucunement l’essence de l’institution. Saint Thomas, avec son esprit généralisateur, n’a jamais argumenté de ce cumul d’attributs, au milieu duquel cependant il vivait ; bien plus, il ne paraît pas même l’avoir remarqué.

  1. « 1° Quia magis sollicitas est unusquisque ad procurandum aliquid quod sibi soli competit ;… quia unusquisque, laborem fugiens, relinquit alteri id quod pertinet ad commune ;… 2° quia ordinatius res humanæ tractantur, si singulis imminet propria cura alicujus rei procurandæ ; 3° quia per hoc magis pacificus status hominum conservatur, dum unusquisque re sua contentas est. Unde videmus quod inter eos qui eommuniter et ex indiviso aliquid possident, frequentius jurgia oriuntur » (Summa theologica, IIa IIae, questio LXVI, art. 2).
  2. « Cette conception de la propriété individuelle (de saint Thomas) — dit M. de Girard — conforme non seulement à l’esprit chrétien, mais encore, dans une certaine mesure, à la tradition germanique, se dressait dans un contraste irréductible en face de la conception romaine… Nous n’avons pas à rechercher ici les conséquences sociales qui découlèrent au moyen âge d’un revirement aussi profond dans l’une des idées juridiques fondamentales. Il