Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/660

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rales derrière lesquelles il ne désespérait pas de faire oublier saint Paul. À Paris les chefs se faisaient appeler « pères » par leurs ouailles. La propagande auprès du beau sexe était fort active. À Lyon, Pierre Leroux et Jean Reynaud (qui devaient fonder plus tard le semi-saint-simonisme), prêchaient devant des assemblées où les auditeurs se comptaient, par milliers. La famille saint-simonienne était alors installée rue Monsigny, avec le Globe pour organe.

Par malheur, la nouvelle Église rencontra la « question des femmes » et se brisa sur cet écueil. On était bien d’accord sur la disparition du mariage, honteuse « exploitation de la femme par l’homme » ; mais Enfantin poussa la logique jusqu’à une demi-promiscuité, que Bazard, vaincu, n’accepta point[1]. C’est être beaucoup trop indulgent, que de dire avec M. Isambert : « La doctrine d’Enfantin sur la réhabilitation de la chair sur la liberté des attractions sexuelles, inoffensive quand elle est présentée à des intellectuels comme l’étaient les pères saint-simoniens, pourrait offrir de grands dangers si elle se répandait dans le peuple[2]. » La vérité, c’est que la morale est une pour toutes les classes sociales, comme est une aussi la vérité.

Enfantin, resté seul et abandonné même par Olinde Rodrigues, qui avait été le premier disciple de Saint-Simon, fonda alors la communauté saint-simonienne de Ménilmontant, dont la description humoristique n’est pas une des pages les moins suggestives de Jérôme Paturot. Le gendarme, hélas ! y pénétrait presque en même temps

  1. « Enfantin — dit Bazard en rendant compte des motifs de sa retraite — prétendit que l’intimité entre les sexes, considérée aujourd’hui comme n’ayant de légitimité, de sainteté, d’élévation que dans le mariage, ne devait plus être exclusive entre les époux ; que le supérieur (le prêtre et la prêtresse), par exemple, pouvait et devait provoquer et établir cette intimité entre lui et son inférieur, soit comme moyen de satisfaction pour lui-même, soit dans le but d’exercer une influence plus directe et plus vive sur les sentiments des inférieurs, sur leurs pensées, sur leurs actes et par conséquent sur leurs progrès » (Bazard, Discussions morales, politiques et religieuses qui ont amené la séparation effectuée au mois de novembre 1831 dans le sein de la société saint-simonienne).
  2. Isambert, op. cit., p. 193.