Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/677

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emploi de leurs forces sous un régime de concurrence qui les contraint à vendre au rabais leur travail[1]. Louis Blanc, ennemi de cette concurrence et de tout ce qui paraît diminuer les quantités de main-d’œuvre demandées par les patrons, prend alors parti contre la liberté commerciale, contre la division du travail et contre l’emploi des machines, en rééditant avec une vigueur nouvelle les arguments déjà quelque peu vieillis de Sismondi[2].

Pour remédier à tous ces maux, il faut empêcher cet accaparement des biens productifs et des instruments de travail. Précédant ou inspirant nos modernes coopératistes[3], Louis Blanc proclame que « le remède est d’établir des institutions sociales qui tendent à généraliser de plus en plus les instruments du travail ; le moyen, c’est de substituer au régime actuel, fondé sur l’individualisme, un régime fondé sur l’association. Plus de salariés : des associés[4]. » Et l’individualisme dont il est ici question, désignait précisément l’institution de la propriété individuelle.

En effet, pour transformer ainsi la société et pour assurer l’exercice du droit au travail et à la vie, il faut que l’État, protecteur de tous les droits, exproprie la classe des propriétaires et qu’il approprie à tous — c’est-à-dire qu’il mette à la disposition de tout le monde — les instruments de travail. Seulement cette transformation ne doit être ni instantanée, ni violente : l’État l’opérera progressivement, tout d’abord en rachetant un nombre croissant d’ateliers et d’usines, le tout payable par annuités gagées sur les bénéfices futurs, puis en employant les ateliers déjà rachetés à faire concurrence aux ateliers non encore rachetés, toujours aux frais du Trésor public, de

  1. Organisation du travail, 1. I, ch. ii (9e édition, 1850, pp. 25 et s.).
  2. « Chaque machine nouvelle, disait Louis Blanc, est pour qui l’emploie une source de bénéfices, mais elle chasse de l’atelier une foule de journaliers » (Droit au travail). — Voyez aussi Organisation du travail, loc. cit.
  3. Voyez plus haut, pp. 580 et s.
  4. Droit au travail, édition de 1849, Réponse aux objections.