Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/710

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servent d’une part à la concentration des capitaux ; d’un autre côté elles préparent la société à l’idée du collectivisme, puis à son avènement effectif. Eh bien ! tout au contraire, elles ont été réellement et elles sont toujours de plus en plus des instruments de la division des fortunes. Grâce aux petites coupures et à la forme au porteur, leurs titres fournissent des emplois faciles à la petite épargne ; et c’est par elles que la richesse va en se morcelant et en se démocratisant, avec des actions et obligations toujours disséminées de plus en plus[1].

Ce n’est pas tout ; et entre les sociétés industrielles qui existent aujourd’hui et la société socialisée et collectiviste que Marx nous promet, il y a une grande différence que Marx n’a point vue : à savoir, que le collectivisme embrasserait l’homme tout entier et tous les hommes d’une manière obligatoire et irrévocable, tandis que les sociétés industrielles sont libres et non forcées, passagères et non perpétuelles, se nouant et se dénouant au gré de ceux qui y entrent et dont chacun ordinairement appartient en même temps à un grand nombre d’entre elles. Vaudrait-il donc mieux que les ouvriers fussent collectivement propriétaires des industries avec tout le capital fixe et circulant qu’elles exigent ? On peut en douter. Dans bien des cas, en effet, il semble préférable que leurs économies n’y soient point engagées, de manière à ne pas pouvoir y être compromises, ce qui aurait l’inconvénient de faire coïncider la perte de l’épargne avec la cessation du travail ; de plus, au point de vue d’une prospérité économique à laquelle l’ouvrier est tout aussi intéressé que qui que ce soit, il est bon que le capital et la direction d’entreprise soient séparés du travail manuel, afin que

  1. « La société anonyme constitue d’après nous un grand progrès. En facilitant le groupement des capitaux et en limitant la responsabilité au montant des actions, elle permet aux plus modestes fortunes de participer aux progrès et aux bénéfices de l’industrie » (Castelein, Socialisme et droit de propriété, p. 445). — Voyez Bernstein, Socialisme théorique et socialdémocratie pratique, pp. 80 et s.