Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bientôt, et tout naturellement d’abord en Italie, où le commerce était plus florissant et où, par conséquent, les entraves législatives étaient plus pénibles, à supporter, on vit l’idée de la productivité de l’argent s’implanter graduellement dans les esprits. Je n’en veux que deux preuves : ce sont deux textes, l’un de saint Antonin de Florence, qui reconnaît que, si l’argent est stérile par lui-même, il n’en est pas moins au pouvoir des marchands de le rendre fécond[1] ; l’autre de saint Bernardin de Sienne, qui lui reconnaît une seminalis ratio lucrosi et qui inaugure pour lui le mot capitale[2].

En même temps s’ébauchait lentement la théorie des titres extrinsèques. Le prêteur ne pouvait jamais toucher une usura, mais on lui permettait de toucher un dédommagement, quantum ejus intererat, d’où le mot « intérêt », intéresse. C’est par ce détour que la règle allait être tournée d’abord et plus tard détruite.

On commença par le damnum emergens, et saint Thomas lui-même ne faisait pas difficulté de l’admettre[3]. Le damnum emergens, c’était tout naturellement d’abord le retard dans le remboursement de la dette, quand le prêteur en souffrait un dommage, comme celui de ne pas pouvoir payer ce qu’il devait lui-même[4].

On continua par le lucrum cessans, que saint Thomas admettait bien après coup, mais pour lequel il se refusait

  1. « Pecunia ex se sola minime est lucrosa, nec valet se ipsani multiplicare, sed ex industria mercantium fit per eorum merçationes lucrosa » (Cité par F.-X. Funck, Zinsgesetzgebung im Mittelalter, dans les Tübinger-Universitsits-Schriften, 1876).
  2. Saint-Bernardin de Sienne (1380-1444) : « Pecunia non solum habet rationem simplicis pecuniae vel rei, sed etiam ultra hoc quamdam seminalem rationem lucrosi, quam communiter capitale vocamus » (Cité par le même auteur).
  3. Summa theologica, IIa IIae quaestio LXXVIII, art. 2, ad primum.
  4. Pothier fait cette distinction dans son traité du Contrat de prêt de consomption. Il oppose les usurae lucrativae, qui sont « proprement usures », aux usurae compensatoriae, qui « ne sont connues que sous le nom d’intérêts… par exemple les intérêts qui sont dus par l’emprunteur d’une somme d’argent du jour que par une interpellation judiciaire il a été mis en demeure de la rendre » (Op. cit., 2e partie, § 54).