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Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/73

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à laisser insérer d’avance une clause ferme d’intérêts dans les conventions[1].

Bien plus, on permet à l’Etat d’autoriser les prêts à intérêt, non pas sans doute que l’intérêt puisse être touché en conscience à la simple condition que la loi civile l’ait autorisé[2], mais en ce sens que l’Etat puisse se désintéresser de cette violation des lois et même promettre d’avance d’y être indifférent. Il est à remarquer que saint Thomas, ici, renonce forcément à contester l’utilité sociale du prêt à intérêt, puisqu’il explique avec elle la nécessité des tolérances accordées par les lois civiles, ne impedirentur, dit-il, utilitates multorum[3].

On sait que les souverains du moyen âge ne se faisaient as faute de vendre la permission de prêter à intérêt[4].

On donnait deux motifs de cette licence : 1° que l’État peut bien permettre les péchés, qu’il ne lui est pas possible d’empêcher[5] ; 2° que le paiement des intérêts par l’emprunteur peut bien être exempt de péché, si c’est pour subvenir à ses besoins qu’il s’y réduit[6]. Cette dernière explication, envisagée au point de vue économique, a le défaut

  1. Summa theologica, eodem loco. — C’est ainsi, croyons-nous, qu’on doit lever une contradiction apparente entre deux textes de saint Thomas (voyez la discussion dans Brants, Théories économiques aux XIIIe et XIVe siècles, p. 153). — La jonction des deux idées de damnum emergens et de lucrum cessans, c’est-à-dire le damnum et l’interesse, a engendré notre expression, bizarre, mais consacrée, de « dommages-intérêts ».
  2. Summa theologica, art. 1, ad tertium.
  3. Ibid.
  4. Voir nos Éléments d’économie politique, 2e édition, p. 481. — Nous avons cité particulièrement, d’après M. l’abbé Vernet, Papes et banquiers juifs au XVIe siècle (Université catholique, n° de mai 1895), les autorisations données par la Chambre apostolique aux banquiers juifs de la marche d’Ancône. En 1529, Clément VII fixait pour la banque juive d’Imola les taux maxima, sur gages, de 30 % pour les emprunteurs du comté d’Imola et de 40 % pour les forains ; sans gages, de 40 % pour les mineurs et pas de limitation pour les majeurs. Dans les prêts sur gages, le pacte commissoire, loin d’être défendu comme il l’est par notre Code civil (art. 2078), était au contraire sous-entendu.
  5. Saint Thomas, Summa theologica, IIa IIae, quaestio LXXVIII, art. 1, ad tertium.
  6. « Mutuum sub usuris accipere illicitiim non est, dummodo quis propter sua ; necessitatis subventionem hoc facial » (ibid., art. 4, conclusio).