Ce qui manquait pourtant à Stuart Mill pour être l’initiateur du socialisme scientifique, c’était une théorie quelconque. Chose étonnante pour un logicien comme lui, il y allait surtout de sentiment et d’instinct, mais il n’y allait encore que par accident. Ce n’était donc pas Stuart Mill qui, malgré son esprit sèchement logicien, aurait pu disputer à Marx la triste gloire d’avoir vraiment fondé le socialisme prétendu scientifique : et si elle ne revient pas au père de l’Internationale, on ne voit bien que Thompson, longtemps et beaucoup oublié, puis Rodbertus qui la lui puissent disputer.
III
LE SOCIALISME SCIENTIFIQUE DEPUIS KARL MARX
Depuis quarante ans, la littérature socialiste est devenue d’une effrayante prolixité. L’espace nous manque pour la faire connaître en détail : nous fixerons plus particulièrement notre attention sur Lassalle et Schæffle, à raison de la déviation particulière qu’ils ont tenté de donner au mouvement tout à fait philosophique dont Marx avait été l’initiateur.
Karl Marx faisait de la métaphysique par le livre : Lassalle — juif et Allemand comme Marx — a fait surtout de l’agitation par le pamphlet et le discours[1].
Ferdinand Lassalle, né à Breslau en 1825, fut d’abord destiné au commerce, puis se tourna presque aussitôt vers le barreau et la politique. Dans cette première partie de sa carrière, il se consacra tout entier à la défense de la comtesse de Hatzfeld, qui, malheureuse en ménage, soutenait contre son mari d’interminables procès, dans lesquels elle avait à lutter contre le gouvernement et l’aristocratie. Compromis dans les événements de 1848, Lassalle a six mois de prison. Il se lie ensuite avec Marx et Engels et
- ↑ Voyez de Laveleye, le Socialisme contemporain, ch. v.