Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/85

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personnes en général, mais ce n’est pas dans le Livre des métiers d’Étienne Boileau, que l’on doit étudier ce que fut le régime du travail au moyen âge.

Vingt ans après l’avènement de Louis XV, Melon comptait que les artisans, en France, ne formaient que 10 % de la population totale, tandis que les laboureurs et paysans en faisaient 80 %[1]. Or, presque au milieu du XVIIIe siècle, l’industrie et même une certaine grande industrie était déjà née. ; le commercé était reconnu et pratiqué ; la France avait certains débouchés internationaux ; surtout l’industrie domestique avait perdu une notable partie de sa production, grâce à la spécialisation des professions, qui à ce moment était déjà fort avancée. Il y a, dans ces dernières considérations historiques, beaucoup plus qu’il n’en faut pour que nous puissions affirmer que le régime corporatif ne pouvait pas comprendre au moyen âge une partie seulement égale de la population, soit un dixième, même s’il s’était étendu alors à tout ce qui n’était pas agricole et en quelque localité que ce fût.

Bref, nous croyons volontiers que les corporations ouvrières n’avaient jamais dû renfermer 5 % de la population totale, surtout au XIIe siècle. Certainement elles n’en avaient même pas approché. Comment, après cela, pourrait-on les considérer comme ayant formé l’élément typique de ces sociétés et de ces temps[2] ?

Il y a d’ailleurs d’autres indices à observer. Les catholiques sociaux — laudatores temporis acti — célèbrent le moyen âge comme une période de Naturalwirthschaft, où le rôle de l’argent était réduit à peu de chose. Eût-ce été possible si la corporation professionnelle et, par consé-

  1. Melon, Essai politique sur le commerce, 1734 (voyez supra, p. 10 en note).
  2. Parlant du XVIe siècle en Allemagne, c’est-à-dire d’un temps et d’un pays où l’industrie avait pris une réelle importance, M. de Girard lui-même écrit que « à cette époque l’industrie — ou plus exactement le métier — n’entrait que pour une faible part dans la production générale, en comparaison de