Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des personnages dont la vie publique et la vie privée semblent souvent en désaccord. Les uns portent un masque et jouent un rôle ; d’autres, doués d’une riche nature, ont besoin de tous les genres d’émotion : il leur faut une existence double, les mâles plaisirs du combat et les joies simples de la famille ou de l’amitié. Aussi peuvent-ils devenir célèbres par la religieuse éloquence de leurs sermons et par la gaîté de leurs propos de table. Chez Calvin, rien de pareil. En lui l’homme s’efface, et, sauf quelques rares occasions, la critique la plus minutieuse ne rencontre que l’apôtre, l’apôtre infatigable, toujours ceint et chaussé. Même dans sa correspondance particulière, il n’est préoccupé que de sa mission ; ce n’est pas l’homme qui parle, c’est le réformateur sérieux, le gardien jaloux de la discipline et de l’orthodoxie. A peine, dans la volumineuse collection de ses lettres, peut-on en surprendre une, comme celle qu’il écrivit à Farel en 1549, et que nous allons transcrire. Encore ne fallut-il rien moins que la mort de sa femme pour qu’il montrât son cœur à découvert ;

Je fais ce que je puis pour contenir ma douleur. Mes amis m’aident dans cette tâche ; mais, eux et moi, nous gagnons bien peu de choses… J’ai perdu l’excellente compagne de ma vie, celle qui ne m’eût jamais quitté ni dans l’exil, ni dans la misère, qui n’eût pas voulu me survivre. Tant qu’elle a vécu, elle m’a fidèlement aidé à remplir mon devoir. Jamais elle n’a été pour