Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/122

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moi une peine ni un obstacle. Et, comme elle ne s’occupait jamais d’elle-même, elle n’a point voulu, dans tout le cours de sa maladie, me tourmenter pour ses enfants.[1] Craignant qu’elle ne renfermât ce souci au fond de son cœur, je lui en ai parlé moi-même, trois jours avant sa mort et lui ai promis que je ne leur manquerais point. Je les ai déjà recommandés à Dieu, me répondit-elle ; mais cela n’empêche pas, lui dis-je, que moi aussi je n’en prenne soin. Je sais bien, reprit-elle, que tu ne négligeras point ce que tu sais que j’ai recommandé à Dieu. J’ai appris hier qu’une femme de ses amies l’ayant engagée à m’en parler, elle lui avait répondu : Ce qui m’importe, c’est qu’ils vivent dans la vertu et dans la piété ; je n’ai pas besoin de presser mon mari pour qu’il les élève dans la crainte de Dieu. S’ils sont vertueux, je suis bien sûre qu’il sera leur père ; s’ils ne l’étaient pas, pourquoi les lui aurais-je recommandés ? De tels sentiments peuvent tout sur moi. Adieu, que le Seigneur te conserve toi et ta femme.

Voilà un des rares moments où l’on voie Calvin occupé d’autre chose que de sa mission. Son deuil est grave et touchant. En écrivant ces lignes il a versé une larme sur celle qui l’aurait suivi dans l’exil et dans la misère. On y sent battre le cœur d’un homme. Et pourtant, voyez comme dans cette page même se trahissent encore les constantes préoccupations du réformateur ; voyez comme elles ont réagi jusque sur ses sentiments les plus intimes. S’il regrette sa compagne, c’est non seulement parce

  1. Enfants d’un premier lit.