Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/203

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que l’enfer n’existe pas, tandis qu’il n’y en a que de bonnes à parier qu’il existe.

Si là est la pensée de Pascal, je conçois fort bien qu’elle ait scandalisé. Un raisonnement pareil ne peut naître que de l’antique alliance de la superstition et de la peur. Je dis de la peur, car il ne s’agit pas ici de cette crainte respectueuse qui est le commencement de la sagesse. Il nous transporte en plein moyen âge ; il nous rappelle le temps où cette bonne femme dont parle Villon, sa mère, si je ne me trompe, voyait au monastère de sa paroisse deux tableaux, dont l’un représentait le paradis avec harpes et luths ; l’autre, l’enfer où damnés sont houllus, et priait ainsi la dame des cieux, la vierge Marie :

« L’un me fait peur, l’autre joie et liesse ;
La joie avoir fais moi, haute déesse. »
[1]

Pour que l’argument du pari suffise à l’intelligence, il faut que la prière de Villon suffise au cœur. Grâce au ciel, le sentiment religieux est devenu plus difficile, la conscience plus délicate, et pour une conscience délicate la gageure de Pascal est presque un outrage. Sur les esprits cultivés et sur les âmes bien nées la peur de l’enfer a moins de prise que l’amour de la vérité.

  1. Villon, Grand Testament. Ballade qu’il fit à la requête de sa mère pour prier Notre Dame.