Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/292

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La langue même de Béranger ne trouve pas grâce aux yeux de M. Renan. Il la juge d’un mot : elle me semble manquer, dit-il, de limpidité et de vraie légèreté. Si l’on veut savoir ce qu’il entend par là, il suffit de lire dix chansons de Béranger après dix pages de M. Renan, empruntées, par exemple, à son article même sur Béranger. Ce sont, en effet, deux langues, parce que ce sont deux goûts et deux manières de sentir. Celle de Béranger à des nœuds. Il peut être grammaticalement correct de dire :

Comme en un fort, princes, nobles et prêtres,
Tous assiégés par des sujets souffrants,
Nous ont crié : « Venez, soyez’nos maîtres…, etc.

Mais si jusque dans les inversions les plus hardies, le génie du français demeure celui de l’aisance et de la grâce facile, ceci n’est point dans le génie français. À côté de ces contractions, qui arrêtent court le mouvement de la pensée, Béranger n’a que trop souvent des expressions banales, de pâles remplissages, des périphrases détournées, oripeaux mal portés de l’ancienne galantene, puis tout à coup l’hyperbole moderne et sa pesante enflure. C’est dans la même chanson qu’Octavie apprend à lire sur tous les visages de la cour :

Traîtres, flatteurs, meurtriers, vils faquins,

et qu’on l’invite à chercher un refuge sous l’ombrage, où rien n’effarouche