Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/293

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Le Dieu qui cède à qui mieux le ressent.

Le poëte aime les sylphides ; mais pour les voir il faut qu’il commence par écarter la lourde « égide de la raison qui gêne son œil curieux », et quand il y a réussi, elles exécutent devant lui des tours de prestidigitation, dont le moins extraordinaire n’est pas de partir « du sein de vives étincelles pour élever jusqu’aux cieux l’esprit du chansonnier ». Que dire de ce Lindor qui soupire tout haut devant Lisette et parle « du tendre espoir qu’il fonde » et de ces rois, brigands gros d’orgueil, qui, donnant leurs crimes pour des titres,

Entre eux se poussent au cercueil… ?

En notant au passage quelques traits de ce genre, choisis entre mille, je n’ai d’autre intention que de faire comprendre comment M. Renan a pu dire que la langue de Béranger manque de vraie légèreté. Combien, en effet, la sienne en diffère ! Elle en a fini avec l’emphase sonore, les grandes formules, les métaphores drapées, l’hyperbole qui s’écoute retentir, épaisse écume oratoire qui de la tribune des clubs avait gagné celle des plus hautes assemblées, et du sein des journaux fait invasion dans les livres. M. Renan est retourné aux habitudes du français d’autrefois. Il parle et ne déclame pas. À ce faux éclat, métallique et dur, que donne la fixité des