Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/354

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nos formules, de nos insuffisances ; c’est une personnalité quelconque, Sterne, Jean Paul, qui ne voit pas d’objet digne de la fixer, et qui, au moyen d’un pot-pourri de plaisanteries, de graves réflexions, d’éclats de rire et d’éclats de pleurs, nous donne gauchement le spectacle de sa supériorité. L’humoriste met en scène son humour. Ce n’est ni un talent, ni une veine ; c’est un genre, une manière, la plus fatigante de toutes. Il n’y a pas besoin de créer un genre faux pour échapper à la sécheresse française, il suffit d’être poëte ; preuve en soit Shakespeare et Cervantes. Shakespeare est un vrai magicien. À ses valets, à ses coquins, à ses héros de mauvais lieu, il donne de l’esprit et de l’imagination. Il en a pour tous. Son Falstaff n’est pas seulement un poltron, un ivrogne, un impudent débauché ; c’est une manière de sage et de philosophe. Il faut voir comme il censure le monde. N’est-il pas excellent lorsque, en attendant l’heure du rendez-vous avec mistress Ford ou mistress Page, il verse dans son ventre majestueux trois bouteilles de vin d’Espagne, et déclare qu’il n’y a plus sur la terre ni tempérance, ni chasteté ? Voilà le vrai comique, celui qui rit de lui-même. Mais le plus grand exemple qu’il y en ait dans les littératures modernes, est le Don Quichotte de Cervantes. Ce n’est pas Cervantes qui mesurera l’esprit à ses héros. Entre Don Quichotte et Sancho Pansa ils en ont pour quatre. Don