Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/427

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retient absolument que ce qui lui appartient en propre. Il reste quatre vers de telle Messénienne de Casimir Delavigne, vingt vers de tout Millevoie, quelques scènes et quelques silhouettes hardies, surtout quelques mots, de tout Corneille. Le souvenir, qui est le grand poëte, est aussi le grand choisisseur. Les œuvres les plus parfaites sont celles que le souvenir a purifiées par un plus long travail de sélection.

Je n’en veux d’autre exemple que les grandes épopées homériques. Il n’y a pas dans toutes nos littératures modernes un seul poëme étendu qui se soutienne au même degré. L’Enéide, le Paradis perdu, le Faust, même la Divine Comédie, ont l’air, en comparaison, d’être faits de pièces rapportées ; la composition en est à certains égards plus régulière ; mais l’inspiration en est infiniment moins égale, et ils se dissolvent en fragments par le travail de la mémoire. Il n’y a pas non plus dans nos littératures modernes un seul poëme de quelque étendue plus franc de ce faux goût qui mêle les tons et les genres, qui oblige les récits à traîner une morale à la remorque, qui glisse l’analyse dans le drame, et montre indiscrètement la petite personne de l’auteur partout où l’on n’a que faire de lui. La poésie homérique est celle qui a le moins de prétentions et d’affectations. On l’attribue, en général, à l’heureuse naïveté des premiers âges, et sans doute l’on n’a pas tort. Volon-