Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rait à l’avant, juste quand on allait heurter le demi-tonneau peint en rouge et blanc (les couleurs qui se voient le mieux et le plus loin) sur lequel le falot était encore allumé, mais n’éclairait plus. Elle lâchait le gouvernail. On voyait Décosterd empoigner le falot ; il le levait devant lui avec son verre bombé et sa petite flamme pâle qui était seulement un peu de couleur dans l’air rose ; puis les deux hommes ont été roses sur tout le devant de leur personne, de la tête aux genoux, dans leur moustache, sur leur tablier. On passait le falot à Juliette, elle le posait à côté d’elle sur le caisson d’arrière. Et, elle aussi, était rose, mais sur son côté et sur son épaule, sur son bras, sur sa jambe gauche, tandis qu’elle se tenait là, les jambes relevées, pour ne pas gêner la manœuvre et elle passait les bras autour de ses genoux. Elle, c’était une de ses joues, une de ses jambes, un de ses pieds nus. Et eux, pendant ce temps, tiraient sur le filet ; roses par devant, ils allaient vers en bas des deux bras, et ils se penchent, puis se redressent. Ils tiraient à eux ; ça venait. Ils tiraient de bas en haut, ça venait de bas en haut. Ils tiraient sur ce palissage et cet espalier à mailles qui venait avec ses fruits qu’ils cueillaient. Penchés, puis à demi debout l’un à côté de l’autre, tout peints en rose, ils allaient avec leurs mains roses, allant à ces fruits qu’ils laissent tomber ensuite entre leurs pieds. Puis, de nouveau, il y avait un changement de couleur : c’était quand le soleil pour finir sortait de derrière la montagne et eux étaient repeints, rééclairés, refaits. Alors une flamme se tord à leurs