Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/197

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quelquefois Rouge poussait jusqu’aux bateaux ; d’autres fois il remontait, par le sentier du garde-pêche, la Bourdonnette ; il ne restait jamais éloigné bien longtemps ; à peine l’avait-on vu partir, qu’il revenait.

Il faut dire d’ailleurs qu’il n’apercevait rien d’inquiétant nulle part, et que ces bords de l’eau étaient même devenus singulièrement déserts depuis deux ou trois semaines.

La raison en était que les gros travaux de la campagne battaient leur plein ; — et, nous autres, on se tient tournés vers l’eau, mais on est qu’un tout petit nombre. Le grand nombre, c’est ceux de la terre qui tournent le dos à l’eau et nous tournent le dos, à nous, ce qui fait une séparation et elle devient d’autant plus grande que la terre a plus besoin d’eux. Il y avait eu les foins, il y avait maintenant la moisson, il y avait les sulfatages ; et, bien que l’école eût congé, même les enfants ne se montraient plus, parce que dès huit et neuf ans ils commencent à se rendre utiles. En avril, en mai, même en juin, ou au commencement de juin, c’est différent ; puis la belle saison paraît, vous appelant vers l’esparcette, le trèfle qui est en fleurs et il est comme un coucher de soleil devant la faux qui va en rond ; vers le froment rouge du pays et le froment sélectionné ; vers la vigne qui a le mildiou, qui a l’oïdium, qui a des vers ; vers là-haut sur le mont et dans les champs de plus bas et dans les prés et même les vergers où on a une ruche ou deux, outre pas mal de cerisiers contre lesquels il faut qu’on