Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/199

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qu’on l’inventait). Maintenant il faut tâcher d’être calme ; il vient s’asseoir à côté d’elle ; il faut tuer en soi les choses pas possibles, il se met à côté d’elle sur le banc. À cause de l’avant-toit, on y était à l’abri de la pluie. Les grosses vagues qui ont à leur sommet une chevelure d’herbes et de poissons crevés laissaient aller vers vous à une pente lisse et verte leurs débris, avant de crouler elles-mêmes par-dessus avec leur écume. On cherche à deviner jusqu’où elles iront sur la grève, où elles se dépassent l’une et l’autre, mais on ne sait jamais laquelle poussera le plus loin. Celle-ci va venir jusque dans le bout de ma semelle, pense-t-on, et puis pas du tout. Ce sont les plus petites qui ont souvent le plus de chance. La troisième, à partir du bord, par exemple : « Juliette, est-ce qu’on parie ? » C’est comme à une course de chevaux. Elle a dit : « Non, moi je choisis la quatrième. » Le jeu avait l’air de l’amuser. Et peut-être rien de plus, jamais, que d’être comme ça, les deux et regarder comment les grosses eaux vous cassent sous le nez leurs bouteilles de verre épais, leurs bordelaises, dont les éclats viennent faire leur bruit sur les galets autour de vous. Et là-bas on tire le canon. Poum ! Ils ont deux ou trois pièces à eux sous la falaise ; ils ont numéroté leurs pièces ; alors : « Pièce no 1, feu !… no 2, feu ! » Ça résonne aussi vers Denens et Redenges de l’autre côté du village, mais en plus sourd, en moins marqué, comme quand Chauvy rentre trop tard chez la vieille femme où on l’a mis en pension et il donne des coups de pied dans le bas de la porte. On l’entendait très bien de