Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/99

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vers le village ; les petites vagues venaient, l’une après l’autre, se coucher à ses pieds comme quand le chien reconnaît son maître. Il regardait du côté d’où Décosterd devait venir, mais n’avait pas osé regarder du côté de l’unique fenêtre sans contrevents et où chaque soir il tendait, au moyen d’un anneau et d’un clou planté dans le mur, une espèce de rideau en grosse toile. Il tournait le dos à la fenêtre, il est demeuré là, pendant que devant lui et entre ses pieds les petites vagues s’allongeaient, les pattes en avant, et leurs griffes blanches s’ouvraient sur le sable. Il était gros et court ; il était tout peint d’un côté du corps, dans son maillot bleu-marine et son pantalon, en beau jaune, et sur un côté de la figure de même et sur l’épaule. Il regardait par moment du côté du village : alors c’est sa nuque et le bas de ses cheveux qui devenaient d’une autre couleur sous la casquette, pendant qu’il n’avait même pas pensé à allumer sa pipe. Et, de nouveau, au-dessus de lui, il y avait dans l’air deux parties ; une moitié de ciel était dans le silence, mais l’autre faisait un grand bruit : c’était vers le levant, c’était au-dessus de la falaise, parce que les oiseaux ne voulaient toujours pas se taire : les pinsons, les mésanges, les chardonnerets, les fauvettes, le merle, et ils se taisaient moins que jamais, ce matin-là, bien que la saison fût déjà avancée. Rouge pensait : « Qu’est-ce qu’ils ont ? » il était ennuyé. Nous autres, ils ne nous gênent pas, parce qu’on est levé en même temps qu’eux et bien souvent avant eux dans le métier, mais il se disait : « Elle va être