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DANS LA MONTAGNE

perron, continuant une phrase commencée : « Pour moi, il est perdu… »

— Et tenons-le pour perdu, a-t-il dit sur le perron, c’est plus prudent (parlant du troupeau, sans doute) ; bien heureux encore si les hommes là-haut en réchappent, si, nous autres, nous n’y passons pas pour finir…

Ce qu’elle entend aussi, pendant que ses deux frères descendent l’escalier, puis à leur tour disent bonne nuit, s’en vont ; après quoi, son père tourne la grosse clé dans la serrure ; mais comment est-ce qu’on va faire pour pouvoir jamais plus dormir, cette nuit, la nuit d’ensuite, et toutes les nuits qui viendront ?

« Car, s’il souffre, je veux souffrir… S’il meurt, je veux mourir. »

Une femme, quelque part dans le village, appelle. Victorine n’entend plus. Elle n’est plus ici. Elle est montée le chemin en pensée, allant lentement, comme on fait, avec des arrêts, avec des lenteurs, avec des pierres qui font aller en arrière, les pentes sans fin, la fatigue, toutes les choses qu’il y a, toutes ces choses pour que ça soit plus vrai, et elle arrive là-haut pour finir, — mais il ne me voit pas, il ne sait pas que je suis là.