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LA GRANDE PEUR

au bord de la rivière ; elle s’était mise à remonter le cours de l’eau. Le mouvement de l’eau se faisait à sa rencontre ; l’eau venait contre elle sans arrêts, avec ses élévations, puis continuait sa course ; tout allait bien, encore que par moment Victorine sût à peine si elle avançait, ou ne l’aurait pas su du moins s’il n’y avait pas eu la berge sur son autre côté. Mais alors elle n’avait qu’à s’y serrer plus étroitement, s’appliquant surtout à se bien tenir baissée, se baissant de plus en plus à mesure qu’elle se rapprochait du poste dans cette poussière de lumière qui était secouée sur nous par les étoiles et qui devait permettre qu’on la vît d’assez loin, si par hasard, elle avait montré seulement une partie de sa personne ; mais elle se collait à la berge pour mieux tirer parti de l’angle.

Et, en effet, elle a passé.

Elle a vu venir à elle l’escarpement de la pente tombant vers la rivière sous une couche de nuit plus noire, qui était la lisière de la forêt ; elle y arrivait déjà : on n’avait pas appelé, rien ne bougeait ; — au moment où elle allait être forcée de quitter la berge, qui devenait rocheuse et trop abrupte, elle est entrée sous les pins.