Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
14
LE RAISIN VERT

décidé de mettre Laurent en pension, son petit visage mobile et gai chavira instantanément et ses yeux éblouis s’emplirent d’une stupeur désolée ; et lorsqu’elle entendit prononcer le mot de Lakanal, elle fondit en larmes, car ce nom évoquait pour elle un lieu fréquenté par la canaille et où l’on battait les enfants avec des cannes.

— Ne pleure pas, dit Isabelle. Ne pleure pas, ma biche au bois. Laurent n’ira pas en pension. Est-ce que tu te figures qu’un Celte va venir à bout d’une Gallo-Romaine ?

Lise leva des yeux noyés et partit d’un éclat de rire, sous le regard étonné de sa mère, que sa mobilité scandalisait toujours un peu. Et tout à coup, se retournant, elle dit avec calme : « Tiens ! papa nous écoute. »

Depuis combien de temps M. Durras était-il là, debout sur le seuil de la chambre ? Habituellement, on l’entendait venir, de son pas sec et rapide qui faisait craquer le parquet du petit vestibule. Cette fois, il était arrivé silencieusement, pour surprendre… Surprendre quoi ? La colère d’Isabelle, dont elle l’avait frustré, en quittant son bureau comme il le lui enjoignait ? Ses larmes ? Un complot ? Ou cette dernière déclaration de guerre ?

Il restait debout sur le seuil, là où se tiennent ceux qui attendent, ceux qui implorent et ceux qui menacent. Sans mouvement, mais quelque chose bougeait sur son visage à la manière d’une lueur que l’on voit, du dehors, se déplacer à l’intérieur d’une chambre close. Ce mouvement intérieur animait tantôt ses yeux bleus, au regard fixe, tantôt sa lèvre inférieure, rouge et fébrile, avancée en « u », tantôt ses grandes joues pâles qui semblaient pour un moment devenir vivantes. Mais ce n’était pas une expression heureuse qui se déplaçait ainsi, c’était un frémissement de volupté souffrante et cruelle.