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TROIS PARMI LES AUTRES

Quand Bertrand chantait en prolongeant toutes les voyelles :

May be I’ll cry-y…
May be I’ll d-die…

la petite se sentait fondre.

De temps en temps, la voiture s’arrêtait. Bertrand prenait Suzon dans ses bras, et sur ses joues, sur son cou, sur ses lèvres, il satisfaisait un besoin de câlinerie, une sensualité plus enfantine encore que virile — charme éternel des chérubins, des gigolos… et cependant, c’était un homme. Cette idée suffisait à la vanité de Suzon, pâmée comme une chatte sous ces caresses inoffensives et délicieuses. Elle se disait bien que le jeu était périlleux et qu’un jour… mais ce danger imprécis était un attrait de plus.

Ils en étaient à leur quatrième expédition. Des pays qu’ils traversaient, elle ignorait tout : il était convenu entre eux que Bertrand ne lui donnerait là-dessus aucune indication, pour laisser plus de mystère à leur vagabondage. Mais, la dernière fois, une idée perverse s’était fait jour dans l’esprit de Suzon :

— Bertrand, conduisez-moi où vous voudrez, sans me dire où. Et puis, quand nous ferons une promenade avec les autres, le jour, vous nous conduirez au même endroit. Ce sera épatant de se trouver là avec eux, qui ne se douteront pas que nous y sommes déjà venus. Hein, vous voulez ?

Bertrand avait acquiescé, un peu étonné par ce goût voluptueux du secret. Mais il trouvait l’idée amusante et « bien femme » (sacrée Suzon !).

C’est ainsi qu’elle avait reconnu, la veille, cette