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XVIII


Septembre pinçait en sourdine son banjo rêveur. Une note en tombe, toujours la même, longue, monotone et mauve, qui fleurit les prés : on l’appelle la colchique d’automne.

Dans les fourrés, les baies de prunellier, semblables à un œil d’oiseau mort, et les sirodons de laque rouge, fortifiaient chaque jour leur tissu presque minéral. Antoinette surveillait leurs progrès au cours de ses promenades solitaires et s’émerveillait que les fleurs les plus fragiles du printemps, la fleur de l’épine noire et celle de l’églantier, eussent produit ces fruits, durs comme des joyaux et qui semblaient éternels.

Heureuse, elle avait aimé l’automne pour son parfum de noix fraîche et de pourriture, et pour la mélancolie des soirs, quand on brûle dans la campagne brune et bleue les feuillages de pommes de terre et les mauvaises herbes, et les volutes de fumée, de plus en plus larges à mesure qu’elles s’élèvent, vont rejoindre dans le ciel le cri des corbeaux. Malheureuse, elle aimait cette saison pour la fête éclatante des couleurs, le son d’une joie intime accouplée à la mort.

Elle s’en allait par les chemins, accompagnée de Moïse qui commençait à prendre des allures de grande personne. Il trottait en avant, fasciné par