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XVII. — Les adversaires de Léo Taxil

Des mensonges d’une si prodigieuse audace qu’on ne peut les supposer tels ; une part de vérité plus ou moins inconsciente ; les plus sacrés mouvements de l’âme dont il jouait impudemment : c’est avec cela que Taxil faisait des dupes. Il ne faut pas s’imaginer qu’il ne rencontra point de perspicaces adversaires.

Henry Charles Lea, l’historien de l’Inquisition, qui n’a pas dédaigné de raconter cette aventure, fait grand état de quelques lettres extorquées aux autorités religieuses par le faux converti. À les regarder de près, c’est tout autre chose.

Quel est le véritable fond de la maçonnerie ? On ne le sait guère. Andrieux, l’ancien préfet de police, dit plaisamment dans ses mémoires comment il fut initié et comment il fut exclu des loges pour avoir raconté son initiation : « Si le Vénérable m’avait dit : Promettez-moi de ne rien révéler, je me serais fait couper les deux mains plutôt que d’écrire cette page ; mais quand il eut ajouté : sous peine d’avoir la tête coupée, la langue arrachée, le corps jeté dans l’océan pour être éternellement roulé par le flux et le reflux, je me rappelai que j’étais dans un atelier, et que les maçons comme les peintres aiment à rire. » Ce passage de ses mémoires est intitulé : Pour voir si j’aurai la tête coupée. Il raconte encore que, dans une loge à Besancon, on conduisait le profane devant une tête coupée, en lui disant : « Voilà comment nous traitons les parjures ! » Il s’agissait d’un truc de foire. Un profane, un jour, reconnut le patient : « Eh ! mais ! c’est le père Cassard ! — Taisez-vous, profane ! » rugit le décapité parlant.

La plupart des maçons ne voient dans leurs rites que des gestes sans importance en eux-mêmes, de petits trucs pour être entre soi, écarter les sots et les gêneurs. Mais la loi de l’initiation exige des degrés ; à quel moment commence la vraie science ? Il est possible que le Secret fameux ne recouvre décidément rien ; il ne serait pas illogique de supposer le contraire.

Qu’il existe autour des loges maçonniques tout un enchaînement d’énigmes à dévoiler, qui en doute ? Vers la fin du xixe siècle, en France, les études antimaçonniques excitées par l’action anticléricale incessante des Frères Trois Points furent enrichies par un apport considérable. En 1882, un franc-maçon converti, Paul Rosen, vendit au chanoine Brettes une importante bibliothèque sur la franc-maçonnerie. De ce fond indiscutable sortirent de nombreuses études, et Taxil lui-même lui emprunta plus ou moins directement ce qu’il eut de relativement sérieux.

Dès 1887, Paul Rosen avait indiqué, dans une lettre publique, les sources des ouvrages antimaçonniques de Taxil, en prenant soin de mentionner ses ignorances. En 1893, Rosen n’hésite pas à écrire à La Vérité que le Diable au xixe siècle est un tissu de farces.

La Vérité menait dès cette époque une Campagne suivie contre Léo Taxil. La première opposition aux prétendues révélations du Diable s’était produite au Monde : le vieux M. Levé, alors directeur de ce journal honorable et trop peu répandu, avait senti la fraude. Il encourageait son jeune confrère Georges Bois, membre du Comité anti-maçonnique et de la Corporation des Publicistes chrétiens, qui devenait rédacteur à La Vérité naissante, à dire hautement toutes se suspicions à l’égard de Taxil et de ses racontars.

La guerre n’était pas commode, Taxil, devant toute attaque, disait : « C’est Saint-Sulpice qui se venge », et, en même temps : « C’est une diversion maçonnique. » Il se couvrait des haines que ses campagnes avaient dû lui valoir,

Dans son Eugène Tavernier, M. Joseph Ageorges rappelle que ce, bel et franc journaliste, neveu de Louis Veuillot, l’homme droit par excellence et le chrétien le plus convaincu qui soit, ayant attaqué Taxil dans L’Univers, Diana Vaughan riposta par un passage, dans ses Mémoires, où elle disait que « les lueurs étranges de ses yeux et le rictus démoniaque de sa bouche présentaient les caractères de la possession ». Toujours les mêmes règles : accuser l’adversaire de ses tares.

Quant à Georges Bois, Léo Taxil avait entrepris de démontrer qu’il n’était qu’un vil agent de la maçonnerie, et cette calomnie faisait si bien son chemin qu’un autre rédacteur de La Vérité, L. Nemours-Godré, dut intervenir pour défendre son camarade. Il publia une brochure : Diana Vaughan et ses répondants, courageuse et d’une netteté parfaite. La fin de l’aventure y était clairement prévue. Ce fut un coup assez rude pour les imposteurs.

Sans doute, à Coutances, M. le chanoine Mustel, avec le talent et la vigueur d’une bonne foi, hélas mal éclairée ! soutenait, autorisait le groupe Taxil-Margiotta, qui s’assurait ici et là d’autres concours encore ; mais l’abbé Jannaud, dans La Semaine Religieuse d’Autun, les Semaines Religieuses de Saint-Claude, Besançon, etc., prenait position en appuyant les courageux journalistes décidés à en finir avec Taxil.

Vers 1896, la presque unanimité des journaux catholiques a dénoncé la farce. Eugène Veuillot, dans L’Univers ; l’abbé Garnier, dans Le Peuple Français ; Auguste Roussel et Georges Bois, dans La Vérité ; Victor de Marolles, dans le Bulletin de la Corporation ; l’abbé Naudet, dans La Justice Sociale ; et aussi bien Gaston Mery à La Libre Parole ; F. I. Mouthon, dans La France Libre ; le baron Angot des Rotours, dans Le Correspondant ; comme Georges de Fonsegrive, à La Quinzaine… Et Les Études allaient bientôt porter un coup décisif. Il faut citer tous ces noms pour bien situer l’action, et montrer que si la vérité avait moins de prestiges que l’erreur aux yeux de la foule, l’élite ne l’abandonnait pas.

XIX. — Le Congrès antimaçonnique de Trente

Alertée comme il convient, la prudente autorité prend d’ailleurs des moyens pour être fixée sans erreur possible.

Afin d’amener un peu de clarté dans les débats qui se multiplient autour de la Maçonnerie, et qui avaient leur répercussion dans les divers pays catholiques, l’organisation d’un Congrès antimaçonnique international fut décidée, Le Pape ayant recommandé qu’on y participât, cette manifestation apparut comme devant être importante.

Menace directe contre Taxil : dans son phénoménal toupet, ou sa naïve duplicité confiante en on ne sait quels secours, n’imaginez pas qu’il la craint. Le comité français est présidé par son partisan, l’abbé de Bessonnies, directeur de La Franc-Maçonnerie démasquée, une revue vaillante et courageuse, mais qui se laissa duper en cette affaire. Les membres du Comité sont Taxil lui-même, Gabriel Soulacroix, le chanoine Mustel, C. de la Rive, Lautier, tous les fidèles de Diana Vaughan.

Pour les frais du congrès, une souscription fut ouverte. La Franc-Maçonnerie démasquée publiait deux listes ; dans la première, les sommes reçues directement ; dans la seconde, les sommes reçues par l’intermédiaire de miss Diana Vaughan. Ces dernières étaient les plus nombreuses et les plus considérables. Miss Diana s’inscrivait elle-même pour 100 francs, et cette souscription est d’une cocasserie prodigieuse. On lisait des phrases touchantes : Un petit médecin de campagne, 10 francs ; une alliée de la guerre maçonnique, 3 francs ; pour le règne de Jésus, 2 francs ; D. X…, qui prie pour la conversion des francs-maçons comme il a prié pour celle de miss Diana, 10 fr., etc. Mélanie Colrat, la bergère de la Salette, envoyait 7 francs à l’ex-luciférienne !

Mais à Trente, où le Congrès se tint du 26 au 30 septembre 1896, on n’était plus dans la comédie. Il y avait là le cardinal Haller, archevêque de Salzbourg, et quatorze évêques. Le prince de Lowenstein présidait. Taxil, présent avec son comité, dut sentir le frisson.

Les résolutions prises attestent le sérieux des travaux. Tout d’abord, le Congrès recommande aux écrivains catholiques « de ne dire que ce qu’ils savent avec certitude, de s’appuyer sur des documents sûrs et authentiques, d’éviter de produire des livres dont le succès est peut-être plus facile et la vente plus copieuse, mais dans lesquels il est impossible de discerner ce qui est vrai de ce qui est faux, et ce qui est réel de ce qui est uniquement le produit de l’imagination de l’auteur ».

À ce premier succès des bonnes méthodes s’en ajoute un second. Le Congrès décida la création d’un Comité central d’action antimaçonnique ayant son siège à Rome et qui donnerait sa direction aux Comités des divers pays. Ces Comités auront une mission délicate à remplir. « Des transfuges de la maçonnerie, ou soi-disant transfuges, se présentent et viennent offrir de combattre dans nos rangs en dénonçant les secrets et les crimes qu’ils ont pu connaître. Parmi ceux-là, les uns, réellement convertis, n’ont pas la prudence et la discrétion nécessaires, et quelquefois ne comprennent pas suffisamment que les fautes graves dont ils se sont rendus coupables, les erreurs auxquelles ils ont participé, semblent leur imposer une retenue et une humilité qu’ils ne savent pas toujours pratiquer. D’autres cherchent trop leur intérêt personnel en exploitant l’intérêt qui s’attache à leur conversion. Une dernière catégorie est composée d’hypocrites et d’espions qui se disent convertis quand ils ne le sont point, qui ne cherchent qu’à tromper notre crédulité en nous racontant de soi-disant secrets et à s’infiltrer parmi nous pour renseigner sur nos agissements ceux qui sont toujours leurs chefs. »

À côté de ces directions générales, on étudie plus spécialement le cas de Diana Vaughan. Contre elle et Taxil, la délégation allemande paraissait fort montée. Elle faisait circuler un article de la Kolnische Volkszeitung où le P. Grüber, l’auteur de l’étude sur Comte et le positivisme, concluait nettement, après étude de la littérature antimaçonnique et une enquête à Paris, que les révélations de Diana Vaughan étaient une escroquerie. Tous Îles Allemands partagèrent cette opinion, car l’autorité était de poids.

Dans la quatrième section du Congrès, Mgr Gratzfeld, représentant le cardinal Klementz, archevêque de Cologne, attaqua vivement Diana Vaughan qu’il déclara une imposture. Le 29 septembre, un rapport de l’abbé de Bessonies conclut à l’existence de Diana ; ses motifs ne purent convaincre les congressistes. Mgr Baumgarten réclama des preuves précises : un extrait d’acte de naissance, une attestation du prêtre qui avait reçu l’abjuration de Diana et de celui qui l’avait admise à la communion, entre autres.

On lui répondait par la difficulté d’avoir des actes de l’État civil aux États-Unis, et par l’impossibilité de produire publiquement des attestations qui permettraient de déduire l’endroit où Diana s’est réfugiée, ce qui serait pour elle la mort certaine. Taxil se déchaînait ; il disait que les doutes de Mgr Baumgarten provenaient de manœuvres de la Franc-Maçonnerie, avide d’exercer sa vengeance. Trois évêques ont entendu Diana en confession, affirmait-il ; doutez-vous de ces évêques ? — Nommez-les ! — Impossible, cela découvrirait où est Diana. Il dénonce à tort et à travers. Tel prêtre, à l’entendre, en veut à Diana parce qu’elle lui a refusé un don de quinze cents francs ; etc…

On conclut prudemment en renvoyant l’affaire à une commission qui sera déléguée par le Comité romain. Toutefois un important résultat est acquis. Taxil ne peut faire de déclarations publiques, mais on obtient de lui qu’il dira confidentiellement à un prélat, Mgr Lazzareschi, le nom de l’évêque qui a admis Diana Vaughan à la communion ; Mgr Lazzareschi le transmettra au Pape, qui sera, de cette manière, instruit sans que le secret de la retraite de Diana soit divulgué.

XX. — Où le Dr  Hacks est vomi

L’Allemagne catholique, on l’a vu, prenait énergiquement parti dans la querelle, à l’encontre des Taxiliens. Ceux-ci ne s’en démontaient pas, au contraire ; ils jouaient de l’argument patriotique : l’Allemagne alliée de la Maçonnerie, rien de plus naturel à les entendre.

Fariboles qui s’évanouissaient au contact des faits. La Kolnische Volkszeitung, offensée que son enquête n’ait pas résolu le problème comme elle le jugeait acquis, non sans raison, cherchait de nouveaux arguments. Le 13 octobre 1896, elle porta un coup décisif.

Ce qu’elle révèle est impossible à réfuter : le Dr  Hacks-Bataille avait daté du 29 septembre 1892, « fête de Saint-Michel », la préface du Diable au xixe siècle, dans laquelle il s’affirmait catholique. Quelques mois après, il renouvelait la même protestation de foi dans une réunion publique.

Or, le 26 décembre 1892, le même Dr  Hacks publiait, chez Marpon et Flammarion, un volume intitulé Le Geste, dans lequel il faisait profession d’athéisme. La religion y est traitée de mômeries, le christianisme de foi névrosique, etc…

Le Geste existant en librairie, il était facile de constater si le journal allemand disait vrai. Hacks prit le parti d’avouer.

Dans une lettre à la Kolnische, il se contenta de prétendre qu’il n’était qu’un collaborateur du Diable, que le pseudonyme de Dr  Bataille ne lui appartenait pas, tout en reconnaissant que Le Geste contenait ses véritables opinions sur la religion catholique.

À un collaborateur de La Vérité, il fit, le 6 novembre 1896, un exposé cynique, trop franc peut-être, de la comédie où il venait de jouer un rôle.

Il racontait qu’à la suite d’une encyclique contre la Franc-Maçonnerie, il avait pensé que c’était matière à battre monnaie avec la crédulité connue et l’insondable bêtise des catholiques. D’autres ayant eu la même pensée, Hacks s’entendit avec eux et Taxil pour fonder le Diable au xixe siècle. Il se garda de dire qui avait mis en rapports ces compères, et comment il put savoir que Taxil, catholique avoué, était en réalité autre chose.

« J’avais voyagé comme médecin à bord de paquebots des Messageries Maritimes, disait Hacks ; j’avais visité de nombreux pays et je racontais des scènes abracadabrantes que je plaçais dans des contrées exotiques, certain que personne n’irait y voir. Les catholiques avalèrent tout sans broncher… »

On a vu que ce n’était pas vrai, et qu’il avait fallu audacieusement mêler des vérités et des mensonges, attester le tout par de grands serments, en défendre l’authenticité par menaces sans réussir au total à dissiper les plus lourdes suspicions.

Hacks reprenait, quasi textuellement, ce que disait Taxil dans ses Confessions d’un libre-penseur, mais il parlait cette fois des catholiques : « C’est que je les connais bien, allez ! Ainsi parfois, quand je lançais quelque bourde un peu trop forte, mes collaborateurs riaient aux larmes en disant : — Vous allez, trop loin, vous allez tout gâter. Je leur répondais : Bah ! laissez donc, ça passera. Et ça passait. »

Non, précisément, ça ne passait pas : et la preuve est que Bataille s’en trouvait démasqué, obligé par le flagrant délit à avouer son imposture. Cet aveu qu’il faisait, ce n’était pas de son plein gré !

Comme le rédacteur de La Vérité lui demandait quel avait été son but, il répondait sans ambages :

— Gagner de l’argent, parbleu ! et je l’ai atteint. Au bout de quelque temps, j’ai lâché la baraque et je me suis séparé des ratichons dont j’avais plein le dos ; il n’y a pas de gens plus embêtants, voyez-vous.

Sur Léo Taxil, Hacks disait : « Je crois au fond qu’il était sincère. Nature complexe, difficile à analyser. » Sur Diana, il réplique drôlement : « Je ne l’avais pas dans mes attributions. » Son aveu n’était pas entier.