Page:Ratichaux, Les impostures de Léo Taxil, Sept, 1934.djvu/6

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Quelle a été son évolution ? Il a soutenu douze ans le geste de foi esquissé en 1885. Pendant les premières années, il a ressenti ou affecté une piété profonde ostensible, qui édifiai tous les croyants et lui amenait d’immenses sympathies. Puis, quand il se fut bien installé dans des profits de cette conversion, il se relâcha peu à peu. On a l’impression, sans pouvoir rien affirmer, bien entendu, que le ton de la mise en scène change à mesure que lui-même, intérieurement, se modifie.

Quand on suspecte sa sincérité, il met à la défendre une telle ardeur qu’il lui faudra paraître, s’il ne dit pas vrai, le plus grand des fourbes. Une petite aventure va le montrer.

En 1890, Édouard Drumont, qui n’avait pas encore fondé sa Libre Parole, eut l’idée de se présenter aux élections municipales de son quartier du Gros-Caillou, avec un programme antisémite. Aussitôt, Léo Taxil d’accourir et de poser lui aussi sa candidature, par pur zèle pour le catholicisme qu’il affirmait sans défenseur.

Drumont était mieux renseigné que personne sur les hommes de son temps. Il ne mâcha pas à son adversaire l’expression de son mépris. Parlant des premiers bouquins de Taxil, il faisait remarquer qu’il « ne s’agit pas des railleries d’un Voltaire ou des éloquents blasphèmes d’un Prudhon, c’est de l’abjection pure ». Et il signifiait que les catholiques avaient eu grand tort d’accueillir ce bas fabricant d’ordures en tous genres.

En réponse, Taxil consacra à l’auteur de La France juive tout un petit volume : Monsieur Drumont. Comme il était logique et selon une tradition maçonnique qui remonte au moins au Juif Errant, Taxil attribuait aux autres ce qu’on pourrait lui reprocher à lui-même. Selon lui, Drumont était un « personnage à deux faces », un révolutionnaire de la pire espèce « qui n’avait mis dans ses œuvres quelques déclarations catholiques que pour tromper les conservateurs et vendre des volumes aux gens aisés ».

Ce qu’il nous faut bien retenir de ce bouquin, ce sont d’éclatantes protestations de sincérité. Ayant rappelé son programme électoral, où il poussait la surenchère jusqu’à promettre de verser aux écoles libres son indemnité de conseiller municipal, Taxil écrit : « On reconnaîtra que cette profession de foi était par dessus tout loyale. J’ai été égaré autrefois, j’ai été un de ces haineux sectaires… Mais en tout cas, je n’ai jamais été hypocrite, on me rendra cette justice… Adversaire ou ami, on a toujours su à quoi l’on avait affaire avec moi. On a le droit de condamner mes écarts de plume, mais ma franchise est au-dessus de tout soupçon. »

La franchise de Taxil ! De tels textes dépassent tout ce qu’on peut concevoir dans le domaine de la fourberie. Ils l’écraseront du reste, quand il prétendra faire rire d’une comédie qu’il aurait montée.

Il y a mieux encore, cependant. Taxil ajoute : « Je dis simplement aux catholiques : Il y a aujourd’hui cinq ans, jour pour jour, que je suis rentré dans le giron de l’Église. Je mets au défit quiconque de relever contre moi, depuis ma conversion, un acte, une ligne, une parole qui ne soient pas absolument irréprochables !! »

Quand on voit ce que fut ce misérable chien, on se demande comment il pouvait être assez fort pour lancer un pareil défi, avec la certitude de n’être pas démasqué. Ses amis anticléricaux, auxquels il prétendra plus tard avoir sans cesse donné des gages, n’ont donc jamais eu un sursaut d’honnêteté devant une duplicité si éclatante ?

Le défi n’étant pas relevé, n’était-il pas difficile devant une telle déclaration, de refuser à Taxil la justice qu’il réclamait, et que la foule pieuse, d’ailleurs, lui accordait généreusement et au-delà ? Au surplus, dans cette polémique avec Drumont, si ce dernier était le véritable croyant, c’était tout de même l’autre qui avait raison quand il soutenait que l’Église s’oppose à l’antisémitisme. Drumont ne le justifiait d’ailleurs que par des raisons sociales.

Comme dans la première phase de sa vie, il faudrait demander encore : — Qui donc est derrière Taxil ? On n’a jamais la sensation qu’il agit tout seul.

L’année suivante, en 1891, il va se lancer dans un coup d’audace qui semble bien prouver qu’il ne craint pas d’être démasqué.

Il a cru s’apercevoir, au cours d’un voyage en province, que ses éditeurs le trompaient. Ses livres se publiaient en volumes, puis en livraisons, et cela se multipliait en s’enchevêtrant. Taxil en connaissait là-dessus, pour avoir brillé dans ce commerce, beaucoup plus que ses actuels libraires.

Il n’est pas homme à subir un préjudice. Il tend des pièges à ses éditeurs, et d’autres à leur imprimeur avec lequel il était lié. Dès qu’il a les éléments d’une poursuite, il traduit tout le monde en correctionnelle.

Petit incident, direz-vous. Il se trouve que l’un de ces éditeurs est le neveu d’un prêtre éminent de Saint-Sulpice. C’est à ce prêtre que Taxil va s’en prendre surtout, et avec lui à tout Saint-Sulpice, et même à l’Archevêché, coupables à l’entendre de faire régner la terreur à son préjudice et d’en imposer aux juges…

Mettant en avant qu’il soutient la propriété littéraire, il obtient de toute la presse de nombreux articles, il fait des enquêtes, il cite des témoins. C’est un vacarme qu’il prolonge par des artifices de procédure et qu’il soutient en publiant un gros volume : Le procès des éditeurs de Saint-Sulpice. En vérité, s’il n’impliquait pas Saint-Sulpice dans cette affaire, on dirait qu’elle ne l’intéresse pas. Il ne se contente pas de défendre ses intérêts contre des éditeurs : c’est la soutane qu’il cherche à atteindre, comme jadis.

S’il n’a jamais été sincère, si sa conversion est une comédie montée de toutes pièces, n’est-ce pas l’occasion de lever le masque et de s’en aller bruyamment au vent de ce scandale ? Il ne semble pas y songer un instant. Dans son livre, il prend la peine de réfuter ceux qui lui conseillaient d’éviter un procès dans l’intérêt de la religion. « Je ne vois pas, proteste-t-il, en quoi la religion pourrait être atteinte le moins du monde… La grande famille catholique n’est nullement responsable de ces actes de déloyauté… » etc. Oui, mais il y a le fait, et il y a l’exploitation du fait : cette exploitation, Taxil la mène anticléricalement. Peut-être encore avec sincérité ; rien ne permet de croire le contraire si ce n’est ses futurs aveux. L’instinct l’emporte. Il cherche à nuire.

Après cette affaire, il y a en lui quelque chose qui change. Comme chez le fauve qui a léché le sang. Il est logique qu’un croyant soit heureux ; Taxil, nous l’avons dit, a trop profité de sa conversion, Ce n’est pas la Frappe, c’est Capoue. Et il a, ce qui nous offre au moins un élément certain, une mauvaise hygiène de l’âme. Voilà ce qui nous achemine vers l’abominable dénouement.

Sa popularité dans la foule catholique a résisté ; la confiance qu’il en tire devient trop grande. En 1890, il réimprime un ouvrage de jeunesse, Marat ou les héros de la Révolution ; l’année suivante, il donne sous un nouveau titre : La Corruption fin-de-siècle, un travail qu’il avait publié en 1884 sous le titre : La prostitution contemporaine. Il le présente comme une étude sociale, mais les éléments dont le livre est composé le rendent bassement pornographique. Des éditeurs catholiques auxquels il a eu le front de le proposer et qui ont refusé, ont pu s’apercevoir qu’en 1891, le Taxil de La Chasse aux Corbeaux ne s’est aucunement affiné ni transformé.

Aussi bien, il semble qu’à ce moment la retenue qu’imposent les milieux religieux lui pèse. Un journaliste de province, de passage à Paris, le rencontre dans un caveau du Quartier Latin, où le converti se soulage en chantant des rengaines anticléricales. Le fait sera révélé au cours des polémiques où Taxil affirme que ce sont ses adversaires qui sont des agents de la Maçonnerie. En essayant de nier, il ne fera que provoquer de nouvelles confirmations, et notamment que Mme Jogand-Taxil l’accompagnait dans cette équipée. Au moins à partir de ce jour-là (car il ne s’agit pas, évidemment, de la défaillance d’un croyant), il n’est plus douteux que le prétendu pourfendeur de la Franc-Maçonnerie est un imposteur. Soit qu’il n’ait pas cessé de l’être, comme il aura le front de le soutenir plus tard, — après son défi aux catholiques — soit qu’à un moment inconnu toutes les flammes de convoitises qu’il n’avait su éteindre aient consumé une foi timide et incertaine…

XIII. — Apparition du Docteur Hacks

Quoi qu’il en soit, nous allons arriver aux péripéties finales : un acte en plusieurs tableaux, et où se multiplient les louches personnages comme les crapauds un jour de pluie (soit dit sans injure pour les crapauds).

Jusque-là, Taxil avait compilé et inventé. Sa ratatouille était grossière ; les mensonges n’y caricaturaient pas toujours tellement la vérité, que celle-ci ne parût surnager. Mais à présent il veut quelque chose de plus sensationnel, qui force la vente. Il s’avise d’insister sur les manifestations diaboliques dans la Franc-Maçonnerie.

Précédemment, il a indiqué en accentuant trop et sans y comprendre grand’chose l’inspiration satanique dans les Loges. Il s’agit de faire mieux : « Montrez le sang », conseillait le fondateur du Petit Journal, Moïse Millaud, à ses reporters racontant des crimes. Taxil veut montrer le diable, en plein midi, Il va nous fabriquer un merveilleux de bazar à treize.

La mauvaise façon de son travail ne viendra-t-elle pas d’un collaborateur nouveau, un certain Dr. Hacks, alias le Dr. Bataille ? Taxil a employé fréquemment pour ses livres des collaborateurs avoués, on peut croire qu’il en eut de secrets. Après 1891, on dirait que certains concours lui manquent. En tout cas, il ne pouvait choisir plus mal que ce Docteur Hacks, si tant est que ce personnage infâme et bizarre ne lui ait été imposé.

C’est un ancien médecin de la marine, qu’on retrouvera selon les hasards restaurateur, écrivain ou photographe, en attendant pire. Un cynique, mais qu’un mystère protège. Notre confrère Jules Bois, auquel il intenta un procès pour plagiat, l’apprit à ses dépens, bien que