Page:Ratichaux, Les impostures de Léo Taxil, Sept, 1934.djvu/7

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le Tribunal l’ait lavé de l’accusation, Hacks fut de ces aventuriers qui ne s’embarquent pas sans biscuit, et je voudrais bien connaître le fond de son existence.

À partir de 1892, paraît chez Delhomme et Bréguet, en livraisons à deux sous illustrées, une publication intitulée : Le Diable au xixe siècle, dont l’auteur est le Dr. Bataille. Taxil en est le collaborateur officieux, mais il y en a d’autres. Au reste, quand après trois ans de succès Le Diable au xixe siècle fait place à la Revue Mensuelie, en 1895, on annonce comme rédacteurs habituels le Dr. Bataille, A. C. de la Rive, Domenico Margiotta, J.-B. Vernay, Captain Pierre, Adolphe Ricoux, Richard Lenuel, Juvénal Moquerain, Quivis, et comme secrétaire de rédaction Léo Taxil.

Le Diable au xixe siècle apportait sur l’action positive, directe et effective de Satan dans la Franc-Maconnerie et sur son culte dans les Loges des révélations aussi étonnantes qu’effroyables et d’une éclatante précision. On montrait le surnaturel comme la lune dans un seau d’eau, et l’auteur caché du mal devenait visible et pondérable comme un gangster.

Tout n’y était pas faux, ce qui explique qu’aient pu y croire ceux qui reconnaissaient là des éléments de vérité ailleurs aperçue. Une foule de contes bizarres et barbares tournaient autour de révélations sur une mystérieuse secte maçonnique américaine, le Palladium. Ce serait l’ordre le plus secret et le plus élevé de la Maçonnerie du xixe siècle et refleurit sous le nom de Palladium réformé. Son grand maître Albert Pike reprend la tradition de la Haute Maçonnerie. Des autorités plus sérieuses que Taxil et Hacks ont considéré ce Palladium comme un centre actif de luciférisme.

La règle de la vraisemblance ici ne joue pas, car on se trouve en face de la fantaisie mystérieuse des hommes ou d’êtres secrets. Tout est possible, et l’historien est désarmé. Le Dr. Bataille avait belle à mentir. Charleston était présenté dans le Diable au xixe siècle comme le quartier général de la maçonnerie luciférienne. Les triangles du Palladium étaient des loges intimes, où Satan s’exhibe en personne matérialisée. La cérémonie d’initiation au troisième et suprême degré d’un triangle est toujours présidée par le démon lui-même. (Le diable Bitru attestera même sa présence en signant le procès-verbal…)

Il y a entre les maçonneries américaines et européennes des échanges d’initiation diabolique. Nous verrons Albert Pike, le pape luciférien, devenir l’ennemi du grand maître de la maçonnerie italienne, Lemmi. Les femmes ont accès à de hauts grades maçonniques, et certaines se trouvent ainsi élues par les démons : Diana Vaughan est la fiancée d’Asmodée ; Sophie Walder l’est à Bitru qui en fera la grand’mère de l’Ante-Christ, etc.

Le Diable au xixe siècle orchestre savamment, pour les déformer et les grossir, toutes les manifestations de l’occultisme contemporain, à ce moment particulièrement actif. Il utilise tendancieusement telles données qui figurent dans les ouvrages singuliers, fallacieux et composites, de Saint-Yves, d’Alveydre, Éliphas Lévi, Stanislas de Guaita. Bien entendu, il fait un sort aux aventures de messes noires trop complaisamment racontées par Huysmans dans Là-Bas. Il fabrique à la légère des prêtres lucifériens avec de simples curieux de l’occultisme, comme M. Jules Bois, ou de fantaisistes mages comme Péladan.

Tout ce merveilleux sinistre et sans vérité profonde est extériorisé, matérialisé, rendu accessible à la foule par de mirifiques détails inventés et grossièrement arrangés. Avant tout on cherche l’extraordinaire ; on surcharge l’extraordinaire. Entre vingt contes extravagants, deux histoires furent célèbres. Le Dr. Bataille racontait par exemple que sous le détroit de Gibraltar les démons avaient installé de vastes arsenaux où se fabriquaient des engins ensorcelés et où se cultivaient en bouteilles les microbes de la peste et du choléra. Ou bien qu’une table tournante s’était changée en crocodile ailé, lequel avait joué au piano une mélodie langoureuse en jetant des regards expressifs sur la maîtresse de la maison.

Ces absurdités trop évidentes n’étaient que des broderies sur un fond qui pouvait paraître sérieux. Un des premiers et des plus ardents adversaires de Bataille et de Taxil, notre confrère des Publicistes chrétiens, Georges Bois (qu’il ne faut pas confondre avec l’auteur des Petites Religions de Paris, Jules Bois) a écrit en propres termes : « Il y avait les éléments d’un travail possible sur le diabolisme au xixe siècle. Bataille a dit que les catholiques étaient des imbéciles, à cause du succès ; c’est lui qui s’est trompé. Le succès eût été plus grand et plus durable si le Diable au xixe siècle avait été une histoire mieux composée et plus exacte. » Au lieu d’histoire, Bataille a fait du roman.