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Page:Raymond Clauzel L'Ile des femmes 1922.djvu/28

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l’île des femmes

eaux refoulées par le soc de la proue, fut violemment cahoté par les jugements intempestifs du capitaine Le Buric.

C’était extraordinaire, car le commandant de La Centauresse homme taciturne, même en ses colères, redoutables cependant, ne parlait que des yeux, par onomatopées ou commandements laconiques. Le temps était beau, l’accalmie seulement dérivée par une légère brise, assez forte pourtant pour qu’on lui tendît les rets de toute la voilure. La goelette filait ses nœuds régulièrement. Rien ne paraissait donc justifier la subite bordée de paroles du capitaine Le Buric.

Les éclats de vois redoublant, Dyonis courut vers le poste du capitaine, où il trouva, aux côtés de Le Buric véhément, le lieutenant Tamarix et le maître de manœuvre abasourdis, effarés. Le vieux marin, apercevant Dyonis, sortit sur le pont et darda sa longue-vue vers le lointain.

— Que se passe-t-il ? interrogea le chevalier.

Virant de bord tout d’une pièce, Le Buric jeta la longue-vue à son second et, levant en l’air ses bras courtauds qui emmanchaient de grosses mains velues, rudoyant et brusque :

— Quarante ans que je navigue ! quarante ans ! s’écria-t-il, et jamais pareille chose ne m’est arrivée.

Cessant de parler, le capitaine Le Buric regarda la carte marine que le maître de manœuvre tenait déployée, comme pour la prendre à témoin de ce qu’il disait. Il s’absorba un instant dans cet exa-