La vieille âme bretonne du capitaine Le Buric était volontiers superstitieuse, surtout lorsque son expérience le laissait à court devant les événements. Au lieu d’être enflammé comme les autres par la curiosité et l’imagination, il devenait sombre. Cette mystérieuse terre, cette île des Sirènes peut-être, qui attirait invinciblement La Centauresse, l’inquiétait.
— Je vais vous dire le vrai, moi, fit-il en regardant profondément Dyonis. Nous ne nous sommes pas embarqués comme des marins ordinaires. La Centauresse ne poursuit ni but commercial ni but militaire. Nous trafiquons la mer, ma parole d’honneur, comme pour tenter Dieu ! Aussi, ne riez pas de ce que je vais dire : le diable a pris place à bord, en même temps que nous. C’est Satan qui fausse notre route et nous perdra peut-être, à moins que le père Loumaigne ne réussisse, avec son chapelet, à exorciser le Malin.
Pour montrer qu’il croyait vraiment à ce qu’il disait, Le Buric se signa gravement et par trois fois. Le père Loumaigne ne put faire moins que de l’imiter, en disant, toutefois :
— Nous nous sommes tous recommandés à Dieu. Depuis que nous naviguons, son service n’a point chômé. Au surplus, je ne cesse de prier pour notre navire et pour chacun de ses passagers. Le diable n’embarque que sur les vaisseaux des mécréants. Or, nous sommes tous de bons chrétiens, fidèles à Jésus, soumis à son Église.