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CHARLES BAUDELAIRE

mort (31 août 1867), que ce juron trivial et saccadé : « Cré nom ! »

On ne peut supporter cette vision sans déchirement et c’est ici que le cœur chaviré souscrit de toutes ses forces à l’apostrophe du Poète à son lecteur : à cet appel qui nous revient comme effaré ; à ce vers qui nous remonte du fond de la mémoire, illuminé de toutes les flammes de son destin tragique :


Plains-moi, sinon je te maudis !


§


Quand Martial s’écrie « Donnez-nous des Mécènes, vous aurez des Virgiles ! », il a raison, s’il entend dire que les loisirs sont indispensables au Poète ; mais il dit une sottise, s’il entend que les Géorgiques et L’Énéide puissent s’écrire indifféremment à telle ou telle époque. Le loisir crée moins le Poète que les circonstances. Virgile né sous Domitien n’aurait pu se réaliser avec le même bonheur. Il n’y avait place à ce moment que pour un Stace et un Martial. Un poète comme Baudelaire n’est possible qu’à une certaine période de civilisation avancée, de vie congestionnée, si j’ose dire. Il présuppose un long effort. Il profite d’une longue suite d’expériences accumulées. Il lui fallait une langue assouplie pendant des siècles. Marot, Ronsard, Ra-