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ET LA RELIGION DU DANDYSME

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Le mérite incontesté de Baudelaire, à nos yeux, c’est d’avoir restitué la poésie à sa véritable destinée. Elle a cessé d’être, avec lui, tributaire de l’Histoire, de la Science et de la Morale. Il ne la ravale plus à n’être qu’un mode d’enseignement.

Elle n’a d’autre but qu’elle-même. La poésie est une façon de goûter la vie, une délectation, un état de grâce. La poésie redevient, avec Baudelaire, comme au temps des Grecs, une manifestation divine, un ravissement de l’âme ; mais l’originalité de Baudelaire, c’est de rester supérieur à son ivresse et de la contrôler. Gautier constate que la volonté chez lui double l’inspiration. Toutefois il y a un abîme entre la théorie de Gautier de l’Art pour l’Art et celle de Baudelaire. Gautier sentait d’instinct que la Poésie devait se suffire à elle-même et que la Beauté est assez manifeste pour se dispenser de preuves. Pas plus qu’on ne fait d’un tableau, d’une phrase musicale, d’une statue, nous ne sommes en droit d’exiger d’un poème un caractère d’utilité pratique. La joie contemplative de l’extase nous suffit. Mais Gautier restreignait encore par trop le rôle du poète. Il n’ambitionnait que de rendre, à la façon d’un peintre, le contour et l’aspect des choses. Il restait prisonnier des apparences. C’était un spectateur. Baudelaire est un