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Page:Raynaud - Baudelaire et la Religion du dandysme, 1918.djvu/58

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charles baudelaire

Baudelaire à écrire à Mme Sabatier était sincère.

Mais c’était un amour exalté de tête, qui puisait sa force dans l’absence de tout contact charnel. Baudelaire n’a-t-il pas écrit : « La femme dont on ne jouit pas est celle que l’on aime. Ce que la femme perd en jouissances sensuelles, elle le gagne en adoration », et ne note-il pas « la délicatesse esthétique, l’hommage idolâtrique des blasés » ? Le jour où il sent son amour partagé et l’étreinte possible, un écroulement se fait en lui. La sainte s’évanouit. Il ne reste plus qu’une femme comme les autres qui l’indispose parce qu’elle s’offre avec tant d’impudeur qu’elle-même ne peut s’empêcher d’en rougir. Elle lui écrit : « Je suis à toi de corps, d’esprit, de cœur. » Alors Baudelaire hésite. Il cherche des excuses à son recul. Il oppose la peur d’affliger un honnête homme. L’honnête homme, c’est Mosselmann, l’homme de proie, affranchi de tout préjugé et qui s’inquiète peu d’une pareille mésaventure. Mme Sabatier a beau lui représenter que cela ne compte pas, multiplier les appels, il se replie sur un scrupule plus misérable encore : la crainte de déplaire à Jeanne Duval, sa maîtresse en titre, comme s’il ne savait pas qu’il disposait de toute licence de ce côté. Mme Sabatier supplie. Elle s’étonne : « Que dois-je penser quand je te vois fuir mes caresses ? » À la fin, elle éclate :