Page:Reclus - Étude sur les fleuves, 1859.djvu/25

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manque le frémissement d’un lac ou le mouvement des eaux courantes ; c’est qu’en effet l’homme dont la vie est si courte, et, par conséquent, si mobile, a une horreur instinctive de l’immobilité ; il faut, pour qu’il sente la vie de la nature, que le mouvement et le bruit la témoignent à ses sens, ne pouvant apprécier que par de longues réflexions la grandeur des mouvements séculaires de la croûte terrestre, il lui faut les bonds rapides de l’eau jaillissant de cascade en cascade ou l’ondulation harmonieuse des vagues, de plus, il lui faut encore le contraste du stable et de l’instable, du mouvement et de l’immobilité. Voilà pourquoi des champs de neige à perte de vue, un désert sans eau, un ciel sans nuages, une mer sans bords, ne peuvent exciter en lui qu’une sombre ou mélancolique admiration ; en leur présence, l’homme se sent anéanti, tandis que dans un vallon parcouru par des eaux courantes il se sent vivre.

Sur la terre, l’eau symbolise le mouvement par excellence : elle coule et coule toujours, sans répit, sans fatigue ; les siècles ne parviennent pas à dessécher le mince filet d’eau qui s’échappe des fissures du rocher et n’étouffent pas son doux et clair murmure, joyeux, il bondit de cascatelle en cascatelle, se mêle au torrent impétueux, puis au fleuve calme et puissant, et se perd enfin dans la mer immense et mystérieuse, tombeau où s’engloutissent tous les cadavres pour rentrer par leurs éléments dans le vaste sein de la nature, et devenir autant de vies nouvelles. Qui dit mouvement dit action : il ne suffit pas à l’eau de descendre dans un lit tout creusé, elle ronge, elle mine, elle érode, elle