Page:Reclus - Histoire d’un ruisseau.djvu/141

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grande courbe de la chute, il arrête soudain ses mouvements, il se laisse entraîner et s’abandonne à la destinée. C’est ainsi qu’un Indien et sa femme, ramant dans leur pirogue en amont de la cataracte du Niagara, furent saisis par un remous violent et portés vers les chutes. Longtemps ils essayèrent de lutter contre la pression terrible ; longtemps, les spectateurs angoissés qui couraient le long du rivage purent croire que les deux rameurs tiendraient tête au courant et parviendraient à le remonter ; mais non, la pirogue est vaincue dans son effort ; elle cède, cède de plus en plus ; elle descend en dérive sur le flot ; elle approche de la courbe terrible, tout espoir est perdu. Alors les deux Indiens cessent de ramer, ils croisent les bras, regardent avec sérénité l’espace qui tourbillonne autour d’eux, et fiers jusque dans la mort, comme il convient à des héros, ils s’engouffrent dans la trombe immense.

Vue par le regard de la science dans l’infinité des âges, la cascade elle-même n’est