Page:Reclus - Histoire d’un ruisseau.djvu/48

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du Nouveau Monde méprise le ruisseau parce qu’il voit rouler dans leur terrible majesté des fleuves comme le rio Madeira, le Tapajoz ou le courant des Amazones ; mais ces énormes masses d’eau, il ne les comprend pas même assez pour en célébrer la puissance : en les contemplant, il reste dans une sorte de stupeur. Le Grec, au contraire, plein de gratitude envers le moindre filet d’eau, le déifiait comme une force de la nature ; il lui bâtissait des temples, lui élevait des statues, frappait des médailles en son honneur. Et l’artiste qui gravait ou sculptait ces traits divinisés, comprenait si bien les vertus intimes de la source, qu’en en voyant l’image, les citoyens accourus la reconnaissaient aussitôt.

Combien sont grands les noms des ruisselets de l’Hellade et de l’Asie Mineure ainsi transfigurée par les sculpteurs et les poètes ! Quand le voyageur débarque de l’Hellespont sur la plage où les compagnons d’Ulysse et d’Achille avaient mis à sec leurs vaisseaux,