Page:Reclus - Histoire d’un ruisseau.djvu/88

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puits sinistre au bord duquel venait s’arrêter la charrue ! Un soir, par un beau clair de lune, il me fallut, seul, passer près de l’endroit fatal. J’en frissonne encore : le gouffre me regardait, il m’attirait, mes genoux ployaient sous l’effort et les tiges des arbustes s’avançaient comme des bras pour m’entraîner dans l’ouverture béante. Je passai pourtant en frappant bruyamment de mes talons le sol caverneux ; mais derrière moi un long géant fait de vapeurs surgit tout à coup : il se pencha pour me saisir et le murmure de l’abîme me poursuivit comme un rire de haine et de triomphe.

Ce gouffre, je le sais maintenant, c’est un soupirail ouvert au-dessus du ruisseau, et le bruit sourd qui s’en échappe est l’écho lointain de l’eau clapotant contre les pierres. À une époque inconnue, même avant que les premiers documents de propriété n’eussent été rédigés par les notaires du pays, une des assises de rochers qui recouvrent la vallée souterraine s’était effondrée dans le lit du