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l’homme et la terre. — la révolution

à fonder l’unité nationale, non sur un prétendu lien du sang ni sur une fraternité traditionnelle, mais sur le droit humain. Les formules d’après lesquelles on constitua le peuple français auraient parfaitement convenu à la création d’une république embrassant l’humanité tout entière[1]. C’est qu’en effet le mouvement de la pensée pendant le dix-huitième siècle avait pris un caractère universel : dépassant de beaucoup les limites de la France et du temps présent, il s’était étendu à l’ensemble des pays et des temps ; souvent l’attention des historiens s’était portée bien plus sur les agissements de Frédéric II, sur le fonctionnement de la constitution anglaise, sur la guerre d’indépendance des colonies américaines que sur les affaires intérieures de la France ; les mœurs du peuple chinois étaient présentées en exemple ; on s’intéressait aux noirs de Saint-Domingue, aux insulaires de l’Océanie. C’est donc par une sorte de floraison naturelle que l’Assemblée nationale proclama les droits du Français en les appuyant sur la pierre angulaire du droit de tous les hommes. Sans doute, les législateurs se trompèrent, puisque, suivant la conception maçonnique de l’époque, ils cherchèrent en dehors de l’homme, dans un Etre suprême, le garant de la morale humaine : ils prirent leur point d’appui en dehors de la conscience individuelle, qui, bien que vacillant elle-même, n’en est pas moins le grand ressort de toute œuvre sincère : considérant l’homme comme un éternel mineur, comme un sujet, ils voulurent le guider par des lois, émanation de la volonté divine dont ils étaient les interprètes. Quoi qu’il en soit, les droits de l’homme, qu’ils proclamèrent sous la pression de l’opinion souveraine qui trouvait enfin des hérauts, représentent bien le fait capital de l’histoire depuis les origines de l’humanité jusqu’à nos jours. Pour la première fois une nation se déclare solidaire de toutes les nations du monde, de toutes les races, au nom du droit que possède chaque homme d’aller à la recherche du bonheur.

En cette grande époque, la plus belle qu’ait encore traversée l’humanité, l’idéal des plus hauts philosophes qui avaient émis la pensée humaine dans toute sa beauté parut être sur le point de se réaliser. En mai 1790, lors de la discussion sur le droit du pouvoir exécutif de déclarer la guerre, Volney propose à l’Assemblée de

  1. Jacques de Boisjolin, Des Peuples de la France, p. 9.