Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome V, Librairie universelle, 1905.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
66
l’homme et la terre. — la révolution

simple. « Quelques-uns se cachent dans les forêts ou près des routes, attendant le voyageur sans défiance, comme le chasseur attend la proie timide ; d’autres se mettent en embuscade dans les champs de riz et enlèvent tous les enfants qu’on y place pour chasser les oiseaux ; il y en a aussi qui se tiennent près des sources et saisissent tous les malheureux que la soif force d’y venir se désaltérer, ou près des baies, afin d’y prendre ceux qui y pèchent pour leur nourriture. Mais le poste le plus avantageux est dans les prés, lorsque l’herbe est haute, ou à côté du sentier qui communique d’un village à l’autre ». Un autre moyen pour se procurer des esclaves, c’est d’allumer la guerre entre les souverains de la Guinée.

Les vaincus qui échappent à la mort sont condamnés à l’esclavage… Arrive-t-il des vaisseaux ? les chefs de tribus marchent aussitôt à la conquête de quelques cantons, brûlent des villes, saccagent les campagnes, et emmènent captifs tous les habitants, à moins que, victimes de leur cupidité, ils ne deviennent eux-mêmes la proie du traitant ». En troisième lieu on pourrait « exciter plusieurs souverains contre leurs propres sujets ». Enfin le dernier moyen, plus ingénieux, était de « faire substituer aux anciennes pénalités pour les crimes et les délits parmi les nations noires la peine unique d’être réduit en esclavage et vendu… On multiplia les crimes pour multiplier les coupables. Les souverains avaient des gradations subtiles dans les délits afin d’en établir dans les punitions ; ils statuaient que les forfaits graves coûteraient la liberté non seulement aux coupables mais à tous les mâles de sa famille, mais à sa famille entière, mais à ses amis, et aussi loin qu’il lui plairait d’étendre sa rigueur despotique. On vendait aussi les débiteurs insolvables et, sur la côte, des marchands avaient des réserves d’enfants dont on trafiquait dès qu’ils étaient parvenus à l’âge du travail ».

De pareilles atrocités devaient émouvoir la nation qui, par ses représentants, venait de proclamer les Droits de l’homme avec un délirant enthousiasme. Et pourtant quelques timides voix à peine s’élevèrent en faveur de ces noirs, les plus opprimés des hommes ! Ce que l’on appelle les « droits acquis », c’est-à-dire les crimes traditionnels, en imposaient aux philosophes les plus généreux. On n’osait pas toucher à la propriété des nobles et fastueux satrapes qui gagnaient si facilement des millions par le travail d’autrui et que l’on avait vus parfois dans Paris ouvrir si généreusement la main. On n’osait pas dépouiller de si puissants aris-