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résignation de l’esclave

à une plus grande intensité de vie, il se produise un accroissement prodigieux dans les accès de désespoir et la hantise de la mort ? Le nombre des suicides ne cesse d’augmenter depuis plusieurs décades dans la société contemporaine et dans tous les pays dits civilisés » Naguère ce genre de mort était rare en toute contrée et tout à fait inconnu chez certains peuples, chez les Grecs par exemple, où d’ailleurs la pauvreté, la sobriété, l’âpre travail étaient la règle. Mais le grand tourbillon dont les cités sont les foyers moteurs a produit un mouvement
malais récoltant du vin de palmier
(Voir page 538.)
correspondant de passions, de sentiments, d’impressions diverses, d’ambitions et de folies dans nos « Babylones » modernes : la vie plus active, plus passionnée, s’est par contre-coup fréquemment compliquée de crises, et souvent l’arrêt se fait brusquement par la mort volontaire.

Là est le côté très douloureux de notre demi-civilisation si vantée, demi-civilisation puisqu’elle ne profite point à tous. La moyenne des hommes, fût-elle de nos jours non seulement plus active, plus vivante, mais aussi plus heureuse qu’elle l’était autrefois, lorsque l’humanité, divisée en d’innombrables peuplades, n’avait pas encore pris conscience d’elle-même dans son ensemble, il n’en est pas moins vrai que l’écart moral entre le genre de vie des privilégiés et celui des parias s’est agrandi. Le malheureux est devenu plus malheureux ; à sa misère s’ajoutent l’envie et la haine, aggravant les souffrances physiques et les abstinences forcées. Dans un clan de primitifs, le famélique, le malade n’ont que leur peine matérielle à porter ; chez nos peuples policés, ils ont encore à soutenir le poids de l’humiliation ou même de l’abhorrence publique ;