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l’homme et la terre. — origines

ou de l’autre hypothèse, puisqu’il raconte la création d’un Adam qui fut le « dominateur de tous les animaux vivant sur la terre »[1], et que, d’autre part, il fait allusion aux hommes qui peuplaient les campagnes lors d’un premier meurtre du frère par le frère[2]. Depuis lors, la morale humaine, dans sa pratique générale, n’a cessé de comporter une contradiction analogue à celle que les chrétiens trouvent dans leur livre sacré.

Si grand que soit l’orgueil de la race pure chez les peuplades qui s’étudient à éviter tout contact avec les autres hommes, et dans les familles aristocratiques modernes qui prétendent au « sang bleu », le fait est que, dans le torrent circulatoire de l’humanité, mêlant les tribus de remous en remous comme les eaux d’un fleuve, la « miscégénation », c’est-à-dire le mélange des races, s’est opérée d’un bout du monde à l’autre. D’après les rabbins du moyen âge, l’homme, créé de l’argile vive, avait été formé de sept espèces de terres, ce qui signifiait sans doute qu’il comprenait en lui les descendants de toutes couleurs, tous les membres de l’humanité future[3]. De même, l’homme actuel contient en soi les types qui l’ont précédé, car en toute race mélangée l’atavisme garde ses droits.

On pourrait imaginer qu’une tribu enfermée dans quelque prison de rochers soit restée pure de tout croisement, mais dès qu’il y eut contact il y eut mélange. En fait, tous les hommes sont de races mêlées ; même les types les plus opposés, le noir et le blanc, se sont unis depuis des siècles en composés ethniques nouveaux, ayant gardé plus ou moins fidèlement les caractères distinctifs qui en font des individualités collectives, méritant un nom spécial. De génération en génération, le mélange des races s’accomplit très diversement ; ici, d’une manière insensible, pendant la paix ; là, brusquement, avec violence, pendant la guerre ; mais toujours l’œuvre se poursuit. C’est en vain que tel ou tel patriote essaie de contester le mélange de race à race : chaque homme, même le plus fier de la pureté de son sang, a des millions et des millions d’aïeux, parmi lesquels les types les plus divers sont représentés. Aussi les anthropologistes qui se hasardent à sérier le genre humain en « races » distinctes, soit qu’ils croient réellement à des origines polygéniques soit que, par un classement plus

  1. Genèse, chap. II, v. 19.
  2. Ibid. chap. IV, v. 12.
  3. Fr. Spiegel, Ausland, 1872, no 10.