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l’homme et la terre. — palestine

leurs idées et leur culte, les Juifs se préoccupaient fort peu du passé ; gens pratiques, ils songeaient surtout à la vie présente. De part et d’autre, à Jérusalem comme à Bâbylone, les prières insistent sur le privilège d’une prolongation de vie, et les lamentations ont pour objet l’approche du tombeau, de la crypte « où l’on ne loue point Dieu ! » — « Donne la durée à nos ans comme aux briques d’Ibarra, étends-les jusque dans l’éternité ! » demande Nebucadnetzar. Le héros d’une antique épopée, Gilgamesh, décrit l’effroyable mort à son compagnon Esbani, et, parmi d’autres lamentations, il formule celle-ci, qui de toutes lui paraît la plus amère : « Hélas ! Tu ne peux plus embrasser la femme que tu aimais et tu ne peux plus battre la femme que tu haïssais. L’horreur du monde souterrain s’est emparée de toi »[1] !

Quoi qu’on en ait dit souvent, les Juifs, comme leurs devanciers les Babyloniens et les autres peuples de la terre, devaient avoir aussi un certain culte des morts, car le passage de vie à trépas n’était pas plus compréhensible pour eux qu’il ne l’était pour leurs voisins, fils de Cham et de Japhet ; ils croyaient donc vaguement à la continuation de l’existence sous des formes plus ou moins modifiées, et l’histoire nous dit que d’ordinaire ils donnaient aux morts, dont le cadavre s’était corrompu et mêlé à la poussière, mais dont le souffle, l’ « âme » avait persisté quand même, le caractère redoutable de revenants, de spectres faméliques, avides du sang des jeunes. C’est pour éviter d’être persécuté par eux après le trépas qu’on les nourrissait et que l’on faisait des libations sur leurs tombeaux. Parfois les trépassés ne consentaient d’une manière définitive au repos qu’après avoir été tués une seconde fois. La Bible nous parle expressément d’un de ces revenants, le prophète Samuel, que l’appel d’une pythonisse fit sortir de la tombe ; mais cette évocation même contribua peut-être pour une part au désastre qui suivit. Fort en colère contre le roi Saul qui troublait son repos, il lui annonça sarcastiquement sa mort prochaine, celle de ses fils et de toute son armée sur la montagne de Gilboah[2].

Ainsi, la nature entière était peuplée autour des Israélites ; des multitudes d’être inconnus tourbillonnaient parmi eux, sur la terre et

  1. Alfred Jeremias, Hölle und Paradies bei den Babyloniern.
  2. Samuel, I, chap. XVIII.