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l’homme et la terre. — égypte

assez riches pour conserver par multitudes les corps des animaux sacrés, ibis, vautours, éperviers, hiboux, chats, chacals, crocodiles et singes, souris et chauves-souris, serpents, poissons et scarabées, mais à nombre d’humains ce privilège était refusé. Toutefois, c’est par millions et par millions que les générations successives ont déposé leurs momies dans les hypogées de l’Égypte : en maints endroits, la poudre que l’on foule
momie de la reine tia
aux pieds est en entier de la poussière humaine. C’est en ce sens surtout que l’on a pu dire de l’antique vallée du Nil : « Rien de profane en ce pays. Tout est sacré »[1].

Les archéologues constatent avec étonnement la prodigieuse importance qu’avait prise en Égypte cette industrie des embaumeurs qui occupait des ouvriers par centaines de mille. Ils ont essayé de se rendre compte de la quantité de produits immobilisés dans les tombeaux : étoffes communes et précieuses, liqueurs odoriférantes et antiseptiques, gommes, matières bitumineuses et substances chimiques, sans compter les amulettes, les charmes, les formules de conjuration, cousus ou placés dans les vêtements. Pour un seul cadavre on employait parfois des bandelettes ayant une longueur totale de « 1 000 aunes », et chacune d’elles avait été parfumée des drogues de l’Arabie Heureuse ; l’entretien des morts absorbait les soins de plus de la moitié des vivants peut-être.

Mais l’histoire de la momification évolua comme toutes choses. Dans les premiers tombeaux, fouillés par Amélineau, sous les buttes d’Abydos, les squelettes sont placés dans une position accroupie, qui est l’attitude naturelle des indigènes, lorsqu’ils se reposent le

  1. Leop. von Ranke, Weltgeschichte, t. I, p. 7.