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l’homme et la terre. — égypte

on avait grand soin que nul étranger ne vînt le troubler dans la solitude où il devait rester à jamais.

Combien différents de ces premiers tombeaux confortables et décorés de joyeuses images sont les effroyables hypogées où les prêtres, désormais vainqueurs, ont enfoui les malheureux qui vécurent sous la terreur de leurs enseignements redoutables. Dans ces tombes, construites sous la direction sacerdotale, toute image est effrayante : les âmes des morts, ayant vécu dans l’effroi, se réveilleront dans l’épouvante[1].

Cl. Al. Vista.

village sur le nil, maisons surmontées de pigeonniers


Et des caveaux, ce vertige de la mort monte à la surface, poursuit l’homme dans tous les actes de sa vie, assiste même à ses banquets. Durant les festins on promenait un cercueil autour de la table, pour rappeler aux convives combien courte est la vie. Puis vint l’époque d’évolution finale où toutes ces pratiques ne sont plus que des survivances dépourvues de signification, où les inscriptions des stèles parlent une langue oubliée, où des idées toutes nouvelles, celles de la vie joyeuse et libre, se mêlent à celles de la mort, et, comme un rayon de lumière, pénètrent dans le noir caveau. C’est ainsi que peu de temps avant la conquête romaine, un grand prêtre qui venait de perdre sa femme rédigea pour elle une inscription dont la phraséologie pieuse rappelle les graves enseignements d’autrefois, mais à laquelle s’ajoute cette exhortation singulière : « Ne t’arrête point de boire, de manger, de t’enivrer, de faire l’amour ; ne laisse point entrer le chagrin dans ton cœur. »

  1. Ernest Renan, Mélanges d’Histoire et de Voyages, p. 47.