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l’homme et la terre. — égypte

prêtait facilement à cette politique. L’Egypte, ramenée sur elle-même par la forme et le relief de son territoire que des solitudes sablonneuses ou marécageuses enveloppent de tous les côtés, devait tendre à se concentrer dans son existence continentale et à se détourner spontanément de la mer. Les rois-prêtres jouissaient ainsi de la complicité du milieu pour tenir leurs sujets à l’abri des dangereux novateurs, porteurs d’idées et incitateurs de révolutions. Sous cette double influence, peut-être spontanée de la part de la nation, très consciente de celle des maîtres, la mer avait fini par être maudite, exécrée, vouée aux dieux terribles, et les naufragés étaient représentés comme de justes punitions d’en haut.

On avait oublié la part qu’avait eue la mer aux origines de la nation et de la culture égyptiennes, aux âges où des Méditerranéens étaient venus de l’Ouest et du Nord pour débarquer sur les plages du Delta, et où les populations des deux massifs similaires de l’Hymiarie et de l’Ethiopie étaient entrées en relations suivies à travers le détroit, jetant, pour ainsi dire, un pont sur la mer, vers le milieu de la voie historique entre la vallée de l’Euphrate et la vallée du Nil, La mer Rouge s’éloigna, pour ainsi dire, dans la direction de l’Orient, et c’est de la fin de la onzième dynastie, il y a certainement plus de quarante siècles, que date la première expédition officielle racontée par les annales comme ayant été dirigée vers ce golfe lointain. Lorsque, sous le règne d’un Pharaon Sanch-Kak, le fonctionnaire et courtisan Hannon fut chargé de traverser la mer Arabique et de conduire des soldats vers le pays des Aromates pour rapporter au roi de ces gommes précieuses, l’expédition, que tant d’autres de même nature avaient précédée dans les âges inconnus, fut considérée comme un événement presque prodigieux. Hannon fit graver sur des rochers le récit de son exploit : « Jamais, dit l’inscription, jamais il ne s’était fait rien de pareil depuis qu’il y a des rois… depuis les temps du soleil »[1].

Pourtant, aux longues époques d’oppression où les lois et, par suite de la routine, les mœurs elles-mêmes s’accordaient pour interdire aux Egyptiens la navigation maritime, d’autres la pratiquaient à leur place. Les villes de Phénicie ayant, durant la plus grande

  1. Chabas, Voyage d’un Egyptien.