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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

de contribuer pour sa quote-part, aussi modeste fut-elle ! On le sait, la question économique est, en politique et en morale, au fond de tous les événements importants. À cause d’elle, un million cinq cent mille hommes s’entr’égorgent aux États-Unis ; à cause d’elle, la gêne et la famine se sont abattues sur des populations entières. On l’a remarqué : la misère a frappé les districts industriels en raison inverse des progrès économiques qu’ils ont accomplis. Les Coopérateurs ont été bien moins cruellement frappés que les ouvriers leurs voisins qui ne s’étaient point départis des anciens errements[1]. Par conséquent, l’adoption universelle du système d’association délivrerait le pays de nouvelles invasions de la misère ; la diffusion des principes et des moyens de progrès économiques équivaudrait à une production plus abondante et plus réglée. Chaque nouvelle vérité sociale devient tôt ou tard un bienfait matériel et contribue pour sa part au bien-être général.

Qu’on ne s’y méprenne pas : ces questions d’employeurs et d’employés, de patrons et d’ouvriers, d’intérêts et de capital, de travail et de répartition de bénéfices, sont les plus irritantes de notre époque, parce qu’elles en sont aussi les plus graves. Les plus graves sont les plus urgentes. Nous ne les voulons toucher que d’une main prudente et calme. Que nos lecteurs se laissent aussi prier de les aborder avec un large sentiment de fraternité humaine, et avec l’idée qu’en matière d’organisation du travail il y a beaucoup à changer pour le mieux. — Puis, est-il besoin de le dire ? Notre conviction est profonde et enracinée, mais elle est tout individuelle. D’un bout à l’autre, la présente étude ne peut ni ne doit exprimer autre chose que les appréciations personnelles de son auteur, heureux, mais non surpris de la bienveillante hospitalité que, dans un but de libre discussion, la Revue a donnée à ce travail.


Pour être aussi clair qu’il nous est possible, nous commencerons par le commencement, mais en promettant d’être bref. En premier lieu se présentent les deux opinions extrêmes dont l’une refuse au capital, et dont l’autre refuse au travail toute participation dans les bénéfices.

La première arrive escortée de hautes autorités. Elle a été proclamée dans tous les temps, et dans tous les lieux ; elle est sanctionnée par la

  1. Depuis que ces lignes ont été écrites, la misère qui exerçait déjà ses ravages en Angleterre s’est propagée dans plusieurs provinces de la France. Elle est devenue manifeste, elle est intense, elle est criante. Et le fait que l’on a observé chez les Coopérateurs anglais a été remarqué également chez les ouvriers d’Alsace comparés à ceux de la Normandie. La misère est venue d’autant plus tard, elle sévit d’autant moins sur les populations que patrons et ouvriers ont avancé davantage dans les doctrines et dans les pratiques de l’économie politique moderne. Les progrès sociaux ne sont autre chose que des progrès intellectuels et moraux ; ils se résument tous dans une solidarité de plus en plus étroite entre patrons et patrons, entre ouvriers et patrons, et surtout entre ouvriers et ouvriers.