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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

plupart des religions qui proscrivent toute espèce d’intérét. Dans cet ordre d’idées, l’ouvrier de Bacup et de Wardie n’aurait pas eu le droit d’emprunter à 5 % pour gagner 60 %, le capital n’ayant pas droit même à l’intérêt de 5 % devenu sacramentel aujourd’hui. Il faudrait donc interdire le 4 %, le 3 % et le 2 % ; car l’intérêt, disent les canons de l’Église, est usuraire de sa nature. — On serait fort embarrassé de répondre logiquement aux canons de l’Église. Par contre, on serait fort embarrassé de nier que le prêt d’un capital est un service qui mérite quelque récompense. Voilà pour la théorie. Quant à la pratique, ces logiciens, qui auraient triomphé dans le champ clos de la théologie, seraient fort empêchés de constituer, sans capital, une entreprise même d’utilité publique, et de réunir ce capital sans offrir au financier un intérêt suffisant. Au point de vue de l’équité et du compromis pacifique, il tombe donc sous le sens que le capital doit être admis dans la participation des bénéfices. En toute justice, l’engagement pris par le capitaliste de laisser pendant un certain temps son capital engagé dans l’entreprise constitue un certain service qui correspond à un certain intérêt.


Le second système, qui refuse au salarié toute participation dans les produits de son travail, remonte également à la plus haute antiquité. Tout aussi logique que le précédent, ce système se base sur le droit du propriétaire d’user et d’abuser de sa propriété, sous toutes les formes qu’elle peut revêtir. Dans cette conception, la propriété n’est pas un fait d’ordre relatif, mais d’ordre absolu, un fait éternel, et qui, sous le nom de mainmorte, survit au propriétaire. La loi anglaise s’inspirait de ce principe de propriété quand même, alors qu’elle ordonnait de pendre l’homme qui aurait volé la valeur d’une corde de chanvre. Poussée à ces dernières conséquences, cette loi autoriserait le bourreau à ouvrir le ventre d’un homme soupçonné d’avoir avalé une pièce d’argent ; elle déclarerait esclave, pour la vie, l’homme qui aurait accepté, pour sustenter sa vie, une écuellée de nourriture. Ainsi raisonnait Jacob vis-à-vis de son frère Ésaü qui se mourait de faim ; ainsi raisonnait Joseph, cet astucieux spéculateur en farines, qui, opérant pour le compte du roi, fit vendre aux paysans d’Égypte leur liberté en échange de quelques sacs de blé. Le maître qui donne à manger est le maître de la vie[1]. Le détenteur des instruments de travail peut exiger pour leur loyer tout ce qu’il lui plaira demander. Si, en face de quelques misérables affamés, le capitaliste condescend à ne pas employer sa fortune à brûler des

  1. Étymologiquement, le mot anglais de lord, le seigneur, s’explique par l’équivalent allemand de brodherr, le maître du pain. « Donne-nous notre pain quotidien ! » s’écrie-t-on dans l’oraison dominicale.